Loi Rilhac : une mise en oeuvre qui reste, au minimum, délicate (IGESR)
Paru dans Scolaire le jeudi 08 août 2024.
Comment les directeurs (et directrices) d'école mettent-ils (elles) en pratique la "loi Rilhac" et son décret d'application ? Pour le savoir, une mission d'inspection générale "a observé 116 conseils de maîtres et 88 conseils de maîtres de cycle" et a mené 416 entretiens. Le premier volet de ses "constats et réflexions" vient d'être publié. Le second sera "caractérisé par une coloration plus fortement politique". Celui qui est disponible est en effet davantage une explication de texte de la loi et une présentation des outils à mettre en oeuvre alors que "la fonction de directeur d’école se doit d’évoluer vers une nouvelle professionnalité (qui reste) à construire afin de répondre au mieux aux exigences d’un métier qui se redéfinit dans le miroir d’un monde complexe en évolution rapide", sans qu'à aucun moment ne soient évoquées d'éventuelles réticences des personnels, qu'il s'agisse de la redéfinition des rôles dans une école des réformes pédagogiques (multiplication des évaluations nationales standardisées, insistance sur les "fondamentaux", "choc des savoirs", "Pacte", NEFLE - notre école faisons la ensemble...).
Les directeurs d'école se heurtent pourtant à une difficulté, la loi leur donne une "autorité fonctionnelle" et leur demande un "pilotage pédagogique", deux notions dont la mission estime qu'il faudrait les "définir et exemplifier", les contours, "y compris juridiquement", en étant "peu précisés" alors qu'elles font "l’objet de questionnements parfois inquiets chez les directeurs d’école et au sein des équipes".
Or il faudrait que "l’action des directeurs d’école soit désormais plus fortement centrée sur le pilotage pédagogique et le développement d’une culture de l’évaluation des acquis des élèves, partagée et analysée avec l’ensemble de l’équipe pédagogique, sous leur impulsion (...). Il s’agit désormais pour l’équipe pédagogique d’aller vers des décisions d’école sous la responsabilité du directeur." Or la mission a assisté à de nombreux conseils où "les échanges sur les questions d’organisation relatives aux projets, intervenants extérieurs, manifestations scolaires, etc. pouvaient prendre une place importante et réduire ensuite à la portion congrue les interventions ou réflexions pédagogiques (...). Les directeurs d’école sont aujourd’hui encore trop nombreux à se positionner comme organisateurs de la vie de l’école davantage que comme pilotes pédagogiques. Affirmer un rôle pédagogique renforcé du directeur d’école, c’est aussi travailler à l’installation progressive d’une nouvelle culture professionnelle des équipes pédagogiques du premier degré." (Pour le dire en termes moins feutrés, pour de nombreux professeurs des écoles, le directeur reste un collègue chargé de régler les questions matérielles mais qui n'a aucune légitimité à empiéter sur leur liberté pédagogique, ndlr).
La mission note aussi que l'exercice d'une "autorité fonctionnelle" suppose de "bousculer des habitudes quelque peu ancrées d’une forme de dépendance vis-à-vis de l’inspecteur et de prendre possession des marges de manœuvre existantes pour faire preuve d‘un esprit de plus grande initiative" et pour promouvoir "un mode de travail davantage collaboratif et horizontal", sachant que "le travail sur le collectif pédagogique reste à construire".
Il y faudrait donc un double changement de culture, entre les "adjoints" et le directeur, entre le directeur et l'inspecteur, sans oublier "qu'il entre dans les gestes professionnels des directeurs de répercuter auprès de
leurs collègues les demandes politiques avec le devoir de loyauté qui lie tout fonctionnaire à son institution" (et qu'il est donc là pour assurer la mise en place des réformes, malgré les réticences d'une partie de l'équipe pédagogique, ndlr).
Il y faudrait aussi des moyens : "La mission pointe l’impérieuse nécessité d’apporter aux directeurs une aide qualifiée qui leur fournirait un soutien logistique dans le travail administratif incompressible et les seconderait dans des tâches de secrétariat (...). Un grand nombre de directeurs exercent des missions qui excèdent leur temps de décharge et il convient de souligner que le fonctionnement actuel des écoles de France doit beaucoup à leur investissement souvent remarquable (...) Des cas d’épuisement (professionnel) parmi les directeurs d’école ont été mentionnés à la mission et la persistance de déclarations ou de constats concernant la fatigue des directeurs doit interroger."
La mission souligne des faiblesses, elle constate par exemple que "seuls 3 % des conseils de maîtres de cycle 3 observés accueillent un enseignant de collège". Elle s'interroge sur les leviers "qui peuvent permettre aux conseils de maîtres et de maîtres de cycle d’évoluer de manière plus prégnante vers des espaces de décisions collectives et efficaces" et elle en distingue deux, les évaluations et les formations.
Si la pertinence des évaluations nationales standardisées "tend à faire consensus, les difficultés rencontrées par les équipes pour en interpréter les résultats et tracer des pistes de remédiation sont, en revanche, réelles (...). La mission a observé à plusieurs reprises une approche des résultats désordonnée et incomplète." Quant aux évaluations des écoles, elles ont "pu renforcer la cohésion d’équipe".
En ce qui concerne la formation continue des directeurs, elle est "trop brève et insuffisante", mais "la mission a pris connaissance de la constitution fréquente, dans les départements, notamment les plus importants en taille, d’un groupe départemental de directeurs d’école (GDDE) (...). Une culture de coopération entre pairs essaime en France depuis la mise en œuvre des formations en constellations dans le cadre des Plans mathématiques et français", mais "l’institution ne saurait se satisfaire de la construction d’une professionnalité qui s’appuierait sur les temps et démarches informelles entre professionnels".
Au total, "si la mission a pu parfois observer des tâtonnements, des maladresses ou des difficultés de pilotage et a pleinement conscience que devenir pilote pédagogique de l’école pour un directeur est un apprentissage qui va se faire avec le temps, des formations ciblées et un accompagnement de proximité, elle tient à souligner l’engagement et l’énergie remarquables des directeurs rencontrés."
Le rapport ici