L'engagement des enseignants, leur désengagement, leur souffrance (dossier de la Revue française de pédagogie)
Paru dans Scolaire le dimanche 21 juillet 2024.
"Je dois avouer que depuis le mois de mars, j'ai laissé tomber certains de mes élèves. C'était trop dur de tout gérer en même temps." La jeune professeure des écoles qui fait cet aveu était pourtant passionnée ; comme d'autres, elle avait adhéré "aux objectifs et prescriptions institutionnels en matière de réussite ds élèves, d'inclusion et de qualité du climat de classe", durant son stage, elle avait jugé "insupportable" le comportement de l'enseignante qui l'accueillait dans sa classe, qui "gueulait sur les élèves" et qui laissait tomber ceux qui étaient en échec.
Un an plus tard, elle la retrouve comme collègue, elle apprécie le soutien qu'elle lui apporte et elle adopte elle-même les comportements qu'elle dénonçait. La "souffrance éthique" de ces professeur.es est au coeur du dossier "sur les (dés)engagements des enseignants" du dernier numéro de la Revue française de pédagogie. Les auteurs y analysent les causes "d'un désarroi et d'une démobilisation croissante des enseignant.es, du fait de contraintes difficiles à tenir, prenant bien souvent la forme d'injonctions contradictoires".
Léa Palet était stagiaire en 2013-2014 au cabinet de Vincent Peillon et elle a assisté aux débats internes au ministère alors que "les frontières normatives de l'engagement enseignant ont fait l'objet d'une formalisation dans les textes réglementaires" et qu'a été créée la "classe exceptionnelle" qui suppose, pour y accéder, d'avoir pris des responsabilités. Autrement dit, fait remarquer un syndicaliste, "l'enseignant qui, avant tout, ferait enseignant toute sa carrière, n'est pas un enseignant exceptionnel" bien qu'il soit "finalement assez exceptionnel" de trouver l'énergie et l'envie de faire classe pendant plusieurs décennies. On assiste donc à "une procéduralisation de l'engagement enseignant", dont la reconnaissance est individuelle. Le "Pacte enseignant" proposé par le ministère en 2023 "s'inscrit d'ailleurs dans une logique similaire".
D'autres contributeurs soulignent "le paradoxe de politiques publiques affichant de grands idéaux humanistes dans des discours prescriptifs sans que la main droite de l'Etat assume le prix des conditions concrètes de leur réalisation". L'institution, pour préserver sa légitimité, "conjugue l'énonciation d'objectifs consensuels et quasi inattaquables sur le papier avec une sur-responsabilisation de professionnels de terrain présentés comme les mieux placés pour s'ajuster aux besoins de leurs publics et comme détenteurs d'une grande autonomie d'action."
Revue française de pédagogie, n° 221, 170 pages, 18 €