Les exclusions ponctuelles favorisent le décrochage (ouvrage)
Paru dans Scolaire le jeudi 18 juillet 2024.
“A chaque niveau des élèves disparaissent“. C'est aussi simplement que Julien Garric, maître de conférences en sociologie et en sciences de l'éducation à l'université Aix-Marseille, décrit dans son dernier ouvrage les mécanismes qui conduisent la pratique de l'exclusion ponctuelle de cours à engendrer des parcours de décrochage scolaire.
L'enquête menée dans trois collèges du sud-est de la France (situés en REP+) durant deux années scolaires montre une pratique de la punition “banalisée“ chez certains enseignants, pouvant même faire partie de la culture d'établissement. “Paradoxalement, constate ainsi l'auteur, dans ces collèges où la pauvreté des élèves et de leurs familles est une réalité criante, les enseignants semblent ne pas se focaliser sur cette précarité économique et ses conséquences, mais sur la gestion du comportement des élèves dans les classes“.
Appelés “exclueurs“ en raison de leur utilisation à tout-va de l'exclusion ponctuelle (et en opposition aux “inclueurs“ ou “résistants“ qui rejettent tout forme de sanction visant à écarter les élèves), ces enseignants ne sont pas systématiquement, contrairement à ce que l'on pourrait penser, des débutants. Ils sont au contraire “majoritairement chevronnés“, et aident à l'affiliation des nouveaux arrivants (mal préparés à ce cadre de travail) dans cette démarche.
Que ce soit pour un retard, un bavardage ou pour mille autres raisons, la dynamique de l'exclusion se révèle toujours “inflationniste“, fruit pour les concernés “d'une rationalité implacable, refusant toute prise en charge pédagogique des difficultés scolaires“.
Car il s'agit pour ces enseignants d'une “mesure d'urgence“ qui se traduit par l'identification d'une “frange d'élèves qui n'ont pas leur place dans le collège unique“. Et bien qu'ils restent minoritaires dans les établissements où l'enquête s'est déroulée, leur pratique “déborde de toute part“, ce qui entraîne une saturation des espaces de vie scolaire ainsi que des tensions autour de la gestion des exclusions de cours.
En mettant certains élèves à part, là aussi une “minorité“ responsable de désordres scolaires, les enseignants qui excluent ponctuellement (et parfois de façon mécanique) entraînent “la constitution de casiers scolaires qui déterminent l'interprétation de situations éducatives“. Si l'exclu a une “valeur sacrificielle“, son éviction de cours “joue un rôle actif dans la construction des parcours déviants des élèves désignés quotidiennement par cette pratique qui les écarte de leur scolarité.“ Elle pourrait même “favoriser leur enrôlement dans des carrières délinquantes capables de leur offrir une place dans la société qui leur a été refusée par l'institution scolaire.“
La fabrique quotidienne du décrochage, Julien Le Garric, 264p., éditions PUF, 20€