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Petite enfance, parentalité et politiques publiques (ouvrage collectif)

Paru dans Petite enfance, Justice le jeudi 11 juillet 2024.

"Le temps de l’enfance est court" et "l’action sociale qui vise à répondre aux besoins de l’enfant et de sa famille se doit d’être rapide". Ces formules, qui concluent la dernière contribution à l'ouvrage collectif "Le jeune enfant, sujet de politique publique", coordonné par Martine Long, en donne les enjeux, et les divers auteurs s'attachent à évoquer les fragilités de l'enfant, les cadres juridiques de son accueil et de sa protection, les incertitudes, les fragilités et les failles.

Certes, les enfants vivant dans l’Union européenne "n’ont jamais bénéficié d’autant de droits qu’aujourd’hui". D’une vision de l’enfant comme "petit animal à dresser", dominante au XIXe siècle, "nous sommes passé au XXe siècle à celle d’un être social en devenir : la question du développement a supplanté celle de la survie et l’ambition éducative a pris le relais de l’impératif sanitaire." La réforme Taquet (du nom du secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles de juillet 2020 à mai 2022) met "la petite enfance et le soutien à la parentalité à l’honneur", mais elle porte "en germe une contradiction entre un souhait d’unification et de qualité" et "une vision gestionnaire" qui a "trop souvent primé sur une logique de droits et de bien-être de l’enfant".

La place du privé lucratif

La situation en France est marquée par "un certain nombre d’éléments : l’intervention de la branche famille de la CNAF, une large ouverture au secteur privé lucratif, et une philosophie très largement attachée à la question de la conciliation des temps et de l’emploi même si les enjeux éducatifs et sociaux ne sont pas absents. Cet état de fait permet de comprendre la difficulté de véritablement mettre en place un service public de la petite enfance."

Le système mis en place permet en effet "au privé lucratif de continuer d’exister et de se développer. Certes, un privé sous contrôle, à qui l’on va demander davantage de comptes, mais un privé qui apparaîtra bien souvent comme la solution de facilité." Plusieurs des contributeurs de cet ouvrage collectif citent d'ailleurs "le rapport choc de l’Inspection générale des affaires sociale (IGAS) de mars 2023", relatif à la qualité de l’accueil dans les crèches.

Une déontologie commune

La "Charte nationale pour l’accueil du jeune enfant" a le mérite de "véhiculer une amorce d’identité commune professionnelle, voire d’éthique, de déontologie pour les professionnels des EAJE. Cet apport doit toutefois être tempéré par la nature juridique d’une telle charte" dont "réelle portée" laisse perplexe d'autant que "le terme 'qualité' est aux abonnés absents de la réglementation applicable aux EAJE" et que "de nombreuses dispositions réglementaires ont assoupli les règles d’organisation, de fonctionnement, d’encadrement des EAJE et de qualification des personnels ces dernières années".

Or les EAJE ont un rôle éducatif à jouer pour "contribuer à l’égalité des chances, "lutter contre la reproduction de la pauvreté par la socialisation des enfants". Une étude québécoise a montré que les parents défavorisés "ont moins de pratiques éducatives, codées comme positives, avec leurs enfants : ils leur lisent moins fréquemment des histoires (...), ils fréquentent moins de lieux publics avec leurs enfants (squares, jardins), se rendent moins souvent à des activités liées au développement de l’enfant et sont moins informés de telles activités", ils sont aussi "moins fréquemment en demande d’information sur des sujets tels que la santé et le développement socio-affectif de leur enfant". Or aux yeux des professionnel.les de la petite enfance, ces parents semblent "parfois étranges, choquant, décevant". Comment les aider et leur remettre "chaque soir leur enfant en sachant que parent et enfant dormiront dehors la nuit" ?

Les parents les plus démunis

Raison de plus pour "encourager le développement des modes d’accueil collectif dans les territoires les plus démunis (et aussi les plus pauvres corrélativement), encourager l’accueil des enfants et familles pauvres par la mise en place du bonus mixité, développer les crèches à vocation d’insertion professionnelle et améliorer (leur) qualité éducative".

L'ouvrage fait donc une part aux travaux en psychologie du développement qui "ont montré toute l’importance des acquisitions des premières années pour le développement affectif, cognitif et social des enfants", lesquels manifestent dès la naissance "un besoin de proximité et de protection". "Les attachements insécurisés sont souvent associés à des difficultés : passivité, agressivité, grande dépendance à l’égard des adultes, anxiété. Mais des relations positives et sécurisées avec d’autres personnes (adulte en accueil préscolaire, à l’école, autres enfants, etc.) peuvent modifier ces représentations et assurer des fonctions de protection aux enfants insécurisés dans leur famille."

Autre élément qui sous-tend la réflexion des divers auteurs, il faut prévoir l’embauche de 156 000 professionnels à l’horizon 2030 puisque d'ici là, près de 44% des assistants maternels en exercice partiront à la retraite." Or les normes juridiques relatives aux modalités de l’accueil des jeunes enfants "sont nombreuses et éparpillées", elles sont "à géométrie variable et, surtout, privilégient parfois manifestement d’autres intérêts que celui de l’enfant lui-même. Les récentes réformes des modes d’accueil, pourtant censées renforcer la qualité de cet accueil, s’avèrent de ce point de vue particulièrement décevantes."

Sortir des silos administratifs

L'ouvrage propose une description détaillée du cadre légal de l'accueil des jeunes enfants et de la couverture des risques qu'ils courent : "Il peut s’agir de préjudices corporels de toutes sortes (chute, brûlure ou blessure de l’enfant, insuffisance de soins, y compris les intoxications alimentaires) ou matériels (destruction de matériel de puériculture, vêtements abîmés)." Les contributions portent aussi sur les contrôles mis en œuvre dont on peut se demander s'ils seront "de nature à garantir la prise en compte de l’intérêt de l’enfant" tandis que se posent aussi la question de la "qualité de vie et des conditions de travail des personnels de la petite enfance" et celle de l'image qu'ils ont d'eux-mêmes. "A la question 'Dans l’exercice de votre activité, avez-vous le sentiment d’exercer la solidarité au quotidien ?', les agents répondent 'oui' à 62 %, là où les agents de la filière MS répondent 'oui' à 88% !"

Et surtout, l'ouvrage appelle au décloisonnement et à la transversalité de l’action publique. L'émergence d’une véritable politique publique de soutien à la parentalité "nécessite un décloisonnement de l’action sociale afin de pouvoir aussi facilement actionner une aide de type éducatif qu’une aide au logement, par exemple. Or, ces actions prises en exemple sont aujourd’hui organisées dans des silos administratifs quasi étanches", c'est ainsi par exemple que l’action éducative relève du conseil départemental quand l’aide au logement relève du bloc communal. "A ce jour le soutien à la parentalité n’est pas une politique structurée" et les politiques publiques en faveur de la petite enfance "ne sont pas dimensionnées en fonction des besoins, mais uniquement en fonction des moyens financiers que les (collectivités) peuvent y consacrer".

"Le jeune enfant, sujet de politique publique", collectif, direction Martine Long, éditions Berger-Levrault, 192 p., 29€

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