Repenser le collège après l'échec de toutes les réformes (ouvrage, R-F Gauthier et J-P Véran)
Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 25 juin 2024.
"Tous les ministres ou presque, depuis 40 ans, ont voulu d’une façon ou d’une autre 'réformer' le collège, et tous ont échoué", constatent Roger-François Gauthier (inspecteur général honoraire) et Jean-Pierre Véran (membre du laboratoire BONHEURS, Paris Université) dans un "Manifeste pour le collège". Pour les deux auteurs, "il s’agit tout d’abord de mesurer le déficit de pensée qui, depuis longtemps, empêche une réflexion ouverte sur le collège".
Celui-ci occupe une position stratégique puisque c'est "au sein du collège que s’organise la grande bifurcation entre les élèves promis à des études donnant accès (...) à des positions sociales plus recherchées et ceux destinés à l’enseignement professionnel". Et le collège est "tout entier tourné vers cette orientation ultime". "Il enferme beaucoup d’élèves dans une situation où la recherche permanente de la moyenne prend le pas sur le sens des savoirs." Il faut donc "mettre au cœur des préoccupations la définition publique de savoirs communs face à la fragmentation consumériste des savoirs qui accompagne la privatisation croissante de l’éducation".
La droite avec la loi Fillon et la gauche avec la loi Peillon ont défini "l’objectif des études de la scolarité obligatoire", à savoir "l’atteinte par tous les élèves d’un socle commun de connaissances de compétences et de culture", mais ce "socle commun" a été "saboté" par les ministères qui étaient censés le porter "parce qu’il battait en brèche l’idée reçue selon laquelle l’enseignement se conçoit à partir de programmes disciplinaires juxtaposés" tandis que la validation des compétences "entrait en conflit avec l’examen traditionnel du brevet".
Dès lors, le collège "enseigne quantité de choses qui n’intéressent pas les élèves et n’en enseigne pas d’autres qui seraient précieuses". Et les auteurs de s'interroger : "La démarche de découverte des métiers et des savoirs professionnels ne pourrait-elle pas être intéressante pour l’ensemble des élèves ?" Et d'un point de vue pédagogique, ne pourrait-on pas s'appuyer sur la "diversité pédagogique" que le collège a emmagasinée ? "Il y a dans des enseignements de SEGPA ou dans des classes dites internationales, ou dans les classes qui accueillent les élèves non francophones, des trésors de pédagogie dont on ne peut que regretter qu’ils soient restés confidentiels."
Officiellement, tous les établissements se valent, mais "on sait qu’il n’en est rien et qu’entre deux collèges diversement situés dans les hiérarchies sociales et scolaires, la richesse, l’ouverture, l’approfondissement dans le traitement des programmes sont très divers". Il faudrait donc retrouver la logique du socle commun, "se demander en premier lieu quelle culture on vis(e) pour les élèves, pour se demander ensuite seulement quelle contribution les enseignements disciplinaires pou(rr)aient y apporter (...) Il s’agit donc de reprendre et d’approfondir cette logique, c’est-à-dire de passer par la rédaction d’un document maître, en surplomb des entrées disciplinaires (...), réfléchir à un curriculum qui réalise un équilibre entre des directives nationales claires et impératives et une prise en compte des contextes des établissements et des territoires." Il faudrait "donner une consistance nouvelle à l’autonomie pédagogique et éducative des établissements", penser "un collège où les objectifs du curriculum national sont mis en œuvre en puisant notamment dans les ressources locales", en "coopérant avec d’autres collectifs de collèges et œuvrant en partenariat avec les acteurs locaux, départementaux et régionaux".
Mais au-delà, pour les deux auteurs, le collège doit préparer les élèves "à tous les aspects de la vie démocratique", "promouvoir chez eux un nouvel universalisme ouvert sur la diversité du monde réel. Cette invention du collège français du XXIe siècle sera tout sauf un repliement sur la seule question du collège. Ce sera d’abord l’occasion de repenser l’amont du collège : la nouvelle politique des savoirs a vocation à s’affirmer dès l’enseignement maternel et élémentaire (...). Elle devra surtout conduire à repenser l’aval, et tout particulièrement à poser la question des lycées dont le cloisonnement d’hier et d’aujourd’hui pourrait être remis en cause. La réflexion sur le lycée unique prendra essor et pourra se défendre et s’illustrer à partir du moment où le collège ne sera plus un petit lycée général."
"Manifeste pour le collège, (P)oser les vrais termes du débat !", Roger-François Gauthier et Jean-Pierre Véran, Comité universitaire d'information pédagogique, 60 pages, 4,99€ pour la version numérique, 13,90 pour la version papier, Librinova ici