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Education au développement durable : ne pas se contenter de suivre les injonctions ministérielles (Revue de Sèvres)

Paru dans Scolaire le vendredi 17 mai 2024.

“L'éducation au développement durable (EDD) est avant tout une question politique que l'école doit s'approprier de façon collective, ne pas seulement se laisser dicter ce qu'il faut faire mais l'insérer dans les problèmes locaux“, considère Jean-Marc Lange, professeur à l'université de Montpellier dont les travaux de recherche portent sur les enjeux sociétaux et leurs conséquences sur les politiques de formation.

Avec Angela Barthes, également professeure à l'université d'Aix-Marseille, ils présentaient à la presse, jeudi 16 mai, le dernier numéro de la Revue Internationale d'Education de Sèvres dont le dossier principal porte sur “une approche comparatiste des curriculum qui se mettent en place“ autour du développement durable dans les politiques éducatives dans le monde.

A travers ce choix thématique sont mises en lumière les tensions qui s'exercent au sein même des pays étudiés, entre les injonctions descendantes qui émanent des gouvernements et les pratiques diverses, très créatives, que les professeurs construisent sur le terrain.

Or l'éducation au développement durable, expliquent les chercheurs, peut prêter à confusion car elle ne doit pas se confondre avec l'environnement, qui se veut davantage un contexte ou des faits scientifiques (par exemple sa dégradation). Au même titre qu'il en existe d'autres (telle l'éducation au “vivre bien“), l'EDD est donc synonyme d'une certaine politique, à tendance libérale, Onusienne, destinée à poursuivre la croissance dans un monde limité, s'étant construite (sous fond de mondialisation) à la suite du rapport Brundtland (ministre d'Etat Norvégienne) en 1984 et du sommet de Rio en 1992, donnant lieu à des préconisations internationales.

Mais comment ces préconisations se sont-elles déclinées au niveau national, comment les différents pays s'en emparent ? Par exemple, à travers l'article sur la Norvège, pays choisi au regard de son histoire dans le processus, tout comme le Brésil, les deux chercheurs ont été “très surpris du résultat. On pensait que ça allait être le pays modèle, en fait pas du tout“, explique Jean-Marc Lange faisant référence aux tensions qui s'exercent au niveau du monde éducatif “entre le rapport à la nature qui va de soi pour les Scandinaves et en même temps les contradictions profondes du développement économique à partir du pétrole et de l'industrie carbonée“.

Autre grande surprise, l'Inde. Le pays est d'abord entré dans une première phase de politique Gandhienne d'education, puis s'est inscrit dans les pays non-alignés, et maintenant essaie d'avoir une présence géopolitique plus importante : “tout ça se ressent dans la mise en place de l'éducation au développement durable, qui subit une succession de ruptures, mais finalement l'Inde propose quelque chose de plutôt abouti et construit."

A l'opposé, au Burkina Faso, un pays qui a beaucoup investi dans éducation, il semble que “les tensions sont presque insurmontables“ entre des problématiques environnementales (comme la sécheresse), des difficultés géopolitiques “extrêmement fortes“ qui viennent bousculer les équilibres, et l'influence des ONG qui viennent dire quel type d'éducation doit être mis en place.

Un des articles porte encore sur “le travail de longue haleine engagé sur l'évolution constante des formations, diplômes et curricula“ dans l'enseignement agricole français, comme l'explique Marie-José Sanselme, rédactrice en chef adjointe de la revue. Angela Barthes estime à ce titre que “le curriculum est un lieu de bataille entre plusieurs voies qui s'opèrent“, expliquant qu'elle se joue en ce moment sur l'insertion dans les programmes de la transition agroécrologique. Or cette transition peut-être paysanne, avec des solutions locales, sans empêcher d'être intensive et viable économiquement, ou a contrario “techniciste, robotique, s'appuyant uniquement sur une innovation qui continuera à accepter les intrans chimiques et les produits phytosanitaires“. Elle ajoute que dans l'enseignement agricole, qui possède une relation particulière aux territoires bien plus prononcée que l'enseignement secondaire classique, “la poussée de la paysannerie est peut-être plus importante que la poussée descendante“, ce qui aurait une incidence sur le contenu curriculaire.

Pour la géographe, il y a donc “des réponses très différentes“, mais une chose constante dans tous les articles : “un décalage énorme entre la demande sociale de durabilité forte portée par le monde de l'éducation et la demande institutionnelle en général davantage axée sur la petite responsabilité individuelle (par exemple faire du tri de déchets) que sur les grands enjeux sociaux économiques“. Ainsi “dans certains pays, il y des marges de manœuvre assez importantes pour les enseignants, à l'inverse d'autres où elles sont bien plus faibles comme en Iran, mais malgré tout on voit cette volonté globale de redonner à l'éducation son rôle plein de démocratisation, de remobilisation des pratiques collectives de résistance, et aussi de renouer avec un imaginaire démocratique.“

C'est pourquoi, en particulier en ce qui concerne le développement durable, “l'enseignant ne peut pas se contenter de ce qu'on lui demande de faire, mais doit reconvoquer la multi référentialité pour réapporter un regard particulier sur soi-même“.

L'article Indien montre d'ailleurs “que la plupart des manuels du pays, avant qu'ils ne soient remplacés, étaient faits par des urbains de classe moyenne pour des urbains de classe moyenne, et on apprend à fermer le robinet pour ne pas gâcher l'eau alors que certains enfants n'ont pas l'eau courante, ce qui renvoie également à des enjeux de justice sociale“, ajoute Marie-José Sanselme. Souvent les enseignants ne saisiraient pas les occasions amenées par les crises climatiques ou environnementales (cataclysmes, inondations) pour faire de l'éducation au développement durable, celle-ci se révélant “hors sol“, poursuit Jean-Marc Lange. Ainsi en France, les injonctions dans l'Education nationale “portent sur de la durabilité faible la plupart du temps, mais ça ne résout pas les problèmes de réchauffement climatique, d'érosion de la biodiversité, c'est très frustrant pour les enseignants“, estime encore Angela Barthes. D'où l'intérêt de "remettre en perspective ce qu'on nous demande de faire avec un panel de possibles. On a quand même un peu de liberté dans notre pays et des marges de manoeuvre, en tout cas plus qu'on ne le croit.“

D'ailleurs, les chercheurs constatent qu'il existe plein de postures différentes, avec un certain nombre d'enseignants qui prennent des libertés, notamment autour du patrimoine local, de la biodiversité, par exemple autour des aires éducatives “qui sont des occasions de faire des choses un peu différentes et qui sont en train de se développer“, ou la classe dehors, un mode pédagogique qui peut s'appuyer sur le territoire. Celui-ci “apparaît comme un symptome du fait qu'on ne peut plus se contenter de la forme scolaire telle qu'elle existe, il y a plein de dispositifs pédagogiques pour pouvoir traiter de ces questions d'actualité, de ces enjeux planétaires et de leur insertion dans l'école.“

Il y a donc “un changement de paradigme, il faut dépasser l'empilement des connaissances des savoirs pour aller vers autre chose, comprendre le changement et mener une action politique à choix multiples et pas seulement institutionnelle“. Cela implique également les chercheurs qui ne sont pas des domaines des “éducations à“, car leur perception est “tronquée, ils ne s'y intéressent pas, il serait bien qu'ils lisent ce domaine-là et se réapproprient les enjeux globaux et collectifs de l'éducation“, à travers des questions comme le climat, la citoyenneté, l'anthropocène, les médias et de l'information...

Revue Internationale d'Education de Sèvres, n° 95, Avril 2024, 177p., 19€, en commande ici

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