Accueil du jeune enfant, crèches, PMI : les réponses des deux ministres à la commission d'enquête (Assemblée nationale)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le vendredi 03 mai 2024.
“Il ne faut évacuer aucune opportunité“ estimait Sarah El Haïry à l'Assemblée nationale mardi 30 avril concernant la possibilité de développer la pré-scolarisation des enfants de moins 3 ans.
Pour la ministre déléguée chargée de l'Enfance, de la Jeunesse et des Familles qui répondait aux questions de la Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements, malgré un “effondrement“ de la maternelle à deux ans avec un nombre de places divisé par trois ces vingt dernières années (85 000 en 2021), les dispositif est “resté dynamique sur certains territoires“, c'est pourquoi, dans un contexte marqué par la pénurie de places d'accueil pour les jeunes enfants “il faut accompagner le développement des classes passerelles“, ce que fera l'Education nationale car cela peut “répondre à un certain nombre de besoins“. Néanmoins spécificités et concertations locales sont les maîtres mots, renvoyant à des questions concernant les entrées échelonnées et la capacité à comptabiliser les enfants dans les toutes petites sections (TPS).
Quatre enjeux majeurs ont été mis en lumière par Catherine Vautrin et largement débattus pendant cette audition, à commencer par le nombre insuffisant de places d'accueil (chiffré autour de 200 000 manquantes) et leur répartition sur territoire.
Places d'accueil
La ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités considère que la réponse se situe dans le service public de la petite enfance (SPE), au sein duquel on retrouve le rôle des communes en termes d'organisation, de développement et de soutien à la qualité des structures. Elle met en avant une communication à venir pour les collectivités concernant le dispositif d'accompagnement financier mis en place (370 millions d'euros destinés à financer 75 000 nouvelles places, soit 26 000 euros chacune), un bonus territoire de développement de 303 millions d'euros, un accompagnement financier pour les communes ou EPCI de plus de 3 500 habitants, ainsi qu'un appui en ingénierie..
Elle estime donc que “c'est un des domaines sur lesquels il y a un peu de budget“, même s'il relève du choix des communes de participer ou non, et donc du rôle des élus qui peuvent décider de financer des crèches et même parfois d'aller plus loin notamment avec en créant des AVIP (crèches à vocation d'insertion professionnelle. Seulement pour le député William Martinet (LFI), certaines collectivités n'ont pas les moyens d'assumer le rôle de tiers financeur, ce qui les empêche d'ouvrir des places d'accueil collectif, et conduirait à “couper dans d'autres politiques“ ou à augmenter les impôts.
71 % des familles vivant sous le seuil de pauvreté avec des enfants de moins de 3 ans ne recourent pas à une solution d'accueil, contre 37 % de la population générale, constate Sarah El Haïry tandis que le coût diffère selon le mode d'accueil pour les familles, avec par exemple un reste à charge deux fois plus important pour un couple percevant 2 SMIC faisant appel à une assistante maternelle plutôt qu'à une crèche. Le manque de places est également une “trappe à précarité“ pour 160 000 femmes empêchées de reprendre le travail faute de solution d'accueil.
Si la ministre déléguée “ne peux pas tenir un compteur de 200 00 places nettes“, elle rappelle cependant que cette hausse promise n'est pas supportée exclusivement par l'accueil collectif et que le 1er mode de garde en France reste individuel via les 330 000 assistantes maternelles que compte l'hexagone. Seulement, les estimations indiquent que d'ici 2030 la moitié d'entre elles partiront à la retraite. La ministre déléguée souligne dès lors son souhait de faciliter l'accès à la formation, mais aussi de soutenir leur installation avec par exemple des “tiers-lieux“ d'accueil (dans les maisons d'assistants maternels voire dans des maisons de santé) permettant un travail plus collectif, plus adapté à la société d'aujourd'hui, alors que les logements sont plus petits, plus chers, que se sont développés de nouveaux équilibres entre vies professionnelle et personnelle. Il s'agit par ailleurs de faire évoluer leur relation à la PMI qui se veut “très sanitaire“ et pas suffisamment dans l'accompagnement, et surtout de mettre en place une garantie de rémunération de deux mois car “le plus grand risque c'est l'impayé“.
Attractivité
Une partie de l'audition a d'ailleurs été consacrée à l'attractivité des métiers de la petite enfance. Cela passe avant tout par une revalorisation salariale, avec celle récemment décidée par le gouvernement (voir ToutEduc ici) mais cela demande pour la ministre déléguée comme contrepartie une harmonisation des droits sociaux des professionnels de la petite enfance, éclatés en 9 branches. Objectif, “faire filière“ et pour cela elle “demande a minima aux partenaires sociaux de définir des emplois repères (..) communs à l'ensemble des branches“, ce qui implique de définir d'ici à 2027 des salaires d'entrée de grille alignés sur les branches professionnelles. Ces emplois bénéficieront d'une revalorisation a minima de 150 euros en moyenne (200 dans le secteur public) financés à hauteur de 66 % (et pas plus, répètent les deux membres du gouvernement) par la branche famille.
Pour Sarah Tanzilli (rapporteure de la commission d'enquête) toutefois, ce dispositif “peine“ à être mis en œuvre en raison de difficultés à faire aboutir les accords de branche (hormis pour Alisfa, Acteurs du Lien Social et Familial). De même, a été rappelé par William Martinet que pour augmenter les professionnels dans le secteur public, là encore il faut un tiers financeur or “certaines collectivités disent qu'elles n'ont pas les moyens“.
Micro-crèches
Sarah El Haïry a ensuite soulevé la question des micro-crèches, en réponse au rapport publié par l'IGAS et l'IGF fin mars (voir ToutEduc ici). Le cadre dérogatoire dont font l'objet ces structures est toutefois “porteur de risque et pas justifié“, reconnaît-elle, d'où le besoin, comme évoqué par les deux inspections, de travailler à la convergence du cadre règlementaire des micro-crèches vers celui des petites crèches, ce qu'elle souhaite pour 2026.
Face à la pénurie de professionnels (10 000 sont évoqués), sa philosophie est la construction d'un service public de la petite enfance diversifié, avec “tous les modèles“, sans opposer les uns aux autres. La priorité doit être le choix individuel des parents, or “la réalité c'est qu'on prend ce qu'on trouve“, affirme-t-elle.
Le député William Martinet lui a plusieurs fois demandé si la logique financière qui prévaut (souvent) à la création de micro-crèches (tenues par des gestionnaires privés lucratifs) pouvait poser un problème particulier en ce qui concerne la qualité de l'accueil offert aux enfants, d'autant que les récentes fermetures administratives sur décision du préfet après signalement de la PMI concerneraient uniquement ces dernières.
La ministre déléguée fait savoir que sur 26 fermetures administratives décidées dans des structures privées, 24 l'ont été pour des micro crèches, dont la plupart étaient lucratives, 2 associatives (enquête DGAS). Des contrôles sont donc nécessaires, en revanche “les faits peuvent être organisés et systémiques mais aussi dus à une dégradation des conditions de travail, ou individuels“, ce qui implique “d'éclairer les particularités“ de ces manquements et d'en tirer des conclusions : “nous serons intraitables, nous engagerons la responsabilité pénale si nécessaire“ (article 40 du Code de procédure pénale).
Qualité
La qualité d'accueil dans les crèches est plus généralement “très hétérogène“ selon Catherine Vautrin, aussi Sarah El Haïry assure que l'ensemble des groupes a vocation à être contrôlé, a rappelé la ministre déléguée, sa ministre de tutelle précisant que deux groupes de taille nationale seront ainsi auditionnés chaque année.
La qualité de l'accueil “suppose du temps pour des professionnels en nombre suffisant“ ajoute Sarah El Haïry qui voudrait, suite au rapport de l'IGAS publié l'an dernier (voir ici), “avancer sur la culture d'un contrôle tourné vers le bien-être des enfants et des professionnels“. Sont mentionnés des travaux sur un renforcement des normes en termes de taux d'encadrement, du niveau de qualification des personnels (avec le développement d'un appareil de formation interne), mais aussi le déploiement de protocoles sur la lutte contre la maltraitance afin de “clarifier les conduites à tenir“.
“Il faut une montée en puissance potentielle des CAF sur la question du suivi de la qualité“ : la ministre déléguée trouve que l'expérimentation menée en Haute-Savoie sur une nouvelle articulation des rôles entre CAF et PMI est une réussite. La caisse d'allocations familiale serait chargée des contrôles financier et de qualité des structures d'accueil des enfants, tandis que le PMI irait davantage vers de la prévention, de l'accompagnement des structures accueil mais aussi des parents. Pour la ministre déléguée, cela permet d'alléger la charge des PMI “qui devient trop lourde“ en la transférant vers “d'autres agents du conseil départemental“ mais aussi de “faire monter en compétences les CAF sur question de la qualité d'accueil qui n'est pas leur ADN premier“. “Le sujet c'est finalement d'avoir des cadres“, poursuit Catherine Vautrin, d'où l'importance d'un référentiel pour avoir le même contrôle quel que soit le département où il est effectué.
Formation et santé
“Les métiers du service à la personne sont la deuxième cause d'accidents du travail“ a enfin fait valoir Catherine Vautrin, pas aussi graves que dans le secteur du bâtiment mais qui se retrouve de façon importante avec des problèmes musculo-squelettiques. Elle évoque des propositions à venir dans le cadre d'une future convention d'objectifs et de gestion (COG) sur les accidents du travail mais aussi dans le PLF 2025, et se dit en outre favorable à un bilan de santé à 40 ans qui permette de regarder d'éventuelles passerelles pour des évolutions de carrière ou reconversions.
Sarah El Haïry a de son côté évoqué la question du bâti avec des réflexions en cours pour faire évoluer le référentiel, dont une piste à propos de l'obligation de détenir une salle de pause pour les professionnels. Elle fait aussi part de son souhait de pouvoir “créer l'opportunité de réviser le CAP accompagnement éducatif petit enfance (AEPE) et ne plus permettre le 100 % à distance“, c'est à dire de rendre obligatoire le stage en crèche en présentiel. Une révision du diplôme infirmier puériculteur serait également “dans les tuyaux“.
La vidéo ici