Comment réguler la place de l'enseignement privé à but lucratif lors de l'orientation des élèves de terminale ? (rapport parlementaire)
Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 12 avril 2024.
"Alors qu’il occupe désormais une part significative dans l’offre de formations supérieures, l’enseignement supérieur privé à but lucratif reste un secteur largement méconnu, et même non défini, par les pouvoirs publics", constatent les députées Béatrice Descamps (LIOT) et Estelle Folest (Démocrate) dont le rapport issu de la "mission d’information sur l’enseignement supérieur privé à but lucratif" vient d'être publié sur le site de l'Assemblée nationale. Il reprend, pour l'essentiel, des rapports déjà connus, notamment celui de la Cour des comptes et du "comité éthique et scientifique de Parcoursup", mais certaines données sont originales.
Les deux rapporteures soulignent qu'il n’existe "aucune définition juridique de l’enseignement supérieur privé à but lucratif". Si certaines de ces formations "peuvent faire l’objet d’une reconnaissance par le ministère de l’enseignement supérieur à travers un grade ou un visa (...), ce cas de figure est minoritaire". D'autres formations correspondent à une certification professionnelle inscrite au RNCP (répertoire national des certifications professionnelles) piloté par le ministère du Travail, mais les contrôles effectués par France compétences "n’apportent que trop peu de garanties sur le plan de la qualité pédagogique des formations" ni ne garantissent la poursuite d’études ou l’accès aux bourses sur critères sociaux de l’enseignement supérieur, "ce dont trop peu d’étudiants sont conscients".
Les deux auteures pointent d'ailleurs "des dérives préoccupantes qui témoignent de l’absence de régulation du secteur privé lucratif et d’une protection insuffisante de l’étudiant-consommateur". Elles précisent : "Les alertes en la matière, qui vont de l’information lacunaire à des cas d’escroquerie en passant par des faillites au milieu de l’année universitaire, semblent se multiplier."
Le problème est d'autant plus important qu'à la rentrée universitaire 2022, l’enseignement supérieur privé regroupait 766 800 étudiants, soit 26,1 % des effectifs. "Alors que le choix de l’orientation post-bac est un moment angoissant pour les jeunes et que cette angoisse se cristallise au moment de procéder à la saisie de leurs vœux sur la plateforme Parcoursup (...), plusieurs écoles mettent au cœur de leur stratégie commerciale l’argument 'hors Parcoursup', vantant (...) une procédure 'sans stress', où les résultats scolaires ne sont pas au cœur des modalités de sélection." Certaines "proposent de les inscrire (...) moyennant le paiement d’une partie des frais de scolarité pour 'réserver' leur place", une pratique parfaitement illégale. Il faudrait d'ailleurs "prévoir un mécanisme garantissant à l’étudiant le remboursement des frais de scolarité, en cas de départ anticipé", notamment s'il ne trouve pas d'entreprise alors qu'il vise un contrat d'apprentissage.
Les sanctions infligées par la direction de la concurrence (DGCCRF) devraient d'ailleurs être assorties d’une forme de publicité, dans une logique de 'name and shame", tandis les pouvoirs publics devraient "mieux lutter contre les pratiques abusives observées concernant la publicité et le démarchage. Les sites des écoles "réclament quasiment systématiquement communication des coordonnées personnelles de la personne" qui souhaite télécharger la brochure des formations. "Ces informations peuvent ensuite être utilisées pour appeler le potentiel client à des fins de démarchage", ce que la mission d'information propose d'interdire. "Cela permettra également de renforcer la transparence concernant le contenu des formations" puisque les brochures seront facilement accessibles.
La mission d'information s'est aussi intéressée au programme Avenir(s) de l’Onisep et les rapporteures "observent qu’une telle plateforme pourrait être utile" mais que la multiplication des plateformes "peut être contre-productive", d'autant que "plusieurs acteurs privés ont aussi mis en place une plateforme d’information, intitulée 'Parcours privé', qui recense une partie des formations relevant du secteur privé lucratif", lesquelles ne figurent pas dans Parcoursup. Les députées s'interrogent aussi sur le périmètre de Parcoursup et sur la présence de certaines formations privées en apprentissage qui tend "à devenir pour les familles le seul critère clair de qualité des formations : "Certains acteurs considèrent qu’il convient aujourd’hui de rehausser les critères de qualité nécessaires pour être inscrit sur Parcoursup. D’autres estiment que la plateforme gagnerait à s’élargir à l’ensemble des formations, pour assurer une forme de contrôle sur toutes les formations proposées et éviter l’argument marketing 'hors Parcoursup'."
A noter encore que le HCERES (Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) s'est prononcé "en faveur de la mise en place d’une régulation du secteur de l’enseignement supérieur privé à but lucratif (...). Le référentiel national qualité Qualiopi (la certification des organismes de formation professionnelle, ndlr) pourrait être rehaussé (…). Tous les établissements privés, déjà certifiés Qualiopi et proposant de la formation initiale, auraient la possibilité de demander une certification Qualiopi + qui attesterait du niveau de la qualité des formations."
Le rapport (196 p.) ici