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Comment se fabriquent vraiment les savoirs des élèves ? (revue Diversité)

Paru dans Scolaire le vendredi 12 avril 2024.

Pourquoi enseigner telle chose plutôt que telle autre ? Comment se transmet un savoir scolaire prescrit (par un programme) dans la salle de classe ? Qu’est ce qui passe avec la transmission des savoirs dont l’enseignant n’a pas forcément conscience ? C'est à ces questions que répond le dernier numéro de la revue Diversité titré "La fabrique des savoirs" et sous-titré "le curriculum dans tous ses états". Régis Guyon et Philippe Vitale qui signent l'éditorial soulignent que "rien n’est évident en la matière". Ils rappellent que cette notion de curriculum désigne, "dans le vocabulaire pédagogique anglo-saxon, un parcours éducationnel, un ensemble continu de situations d’apprentissage (learning experiences) auxquelles un individu s’est trouvé exposé au cours d’une période donnée dans le cadre d’une institution d’éducation formelle".

Il faut dès lors se demander "quels sont les processus de définition des savoirs à enseigner", comment ils sont "reçus, transformés, par ceux qui doivent les enseigner", mais aussi en quoi cette notion permet "d’analyser autrement les inégalités scolaires" et "de questionner et espérer comprendre les finalités données à l’école ".

Des savoirs ou des compétences

Anne-Marie Chartier (INRP et IFE) souligne d'ailleurs que "la liste des savoirs scolaires semble facile à connaître : elle est donnée dans les programmes officiels", mais elle met en garde contre "une représentation de l’enseignement comme pur exercice de transmission" et contre "le rêve d’une relation pédagogique transparente" et elle attire l'attention sur tout ce que les élèves apprennent "du seul fait d’être scolarisés" et sur les priorités des enfants, qui "ont peu à voir avec les savoirs enseignés".

Elisabeth Bautier (Paris 8) nous met également en garde, mais contre "la tendance contemporaine à déplacer le centre de gravité des évaluations vers des compétences, des savoir-faire (...) d’une grande complexité et ne faisant pas explicitement l’objet d’apprentissage (...). La logique de compétences est (en effet) à l’œuvre comme organisateur des évaluations, voire des enseignements, plus que les savoirs eux-mêmes, en particulier depuis les premières évaluations internationales PISA". Quant aux "compétences psychosociales et comportementales" ou "soft skills", "elles relèvent de conduites sociales valorisées aujourd’hui dans une partie de la société".

Cette question de la valeur des savoirs est également posée par Xavier Roth (Aix-Marseille université) qui met en balance deux points du programme de CP, apprendre à lire et apprendre à faire du vélo : "D’un point de vue philosophique, on peut se demander la chose suivante : comment (l'enseignante) sait-elle que savoir lire vaut plus la peine que savoir pédaler ? (...) Sur quels fondements s’appuie-t-elle pour déterminer la valeur de ce qui mérite d’être enseigné ?" Encore faut-il identifier ces savoirs et Yves Reuter (Lille 3) donne l'exemple "d’élèves de l’école primaire qui, ayant à reconstituer des phrases à partir de mots proposés, ne voient pas le rapport avec la lecture (ou avec la grammaire) (...). Pour ces élèves, le sens des activités n’excède pas la réussite ponctuelle de la tâche et la vie scolaire n’est perçue que comme une juxtaposition de situations sans grandes relations."

A l'école, on ne pose pas de vraies questions

Julien Netter (INSPE de Créteil) donne l'exemple d'un enfant mutique à l'école alors qu'il est intarissable à la maison. Quand l'enseignante demande par exemple qui est le personnage principal d'une histoire qu'elle vient de lire à la classe, elle pose, explique-t-il, une question "idiote" puisqu'elle connaît déjà la réponse. Ses parents lui posent peu de questions et "quand ils le font, ce sont de 'vraies' questions auxquelles ils ont besoin que leurs enfants puissent répondre pour les éclairer". Mais avec ses propres enfants, l'enseignante multiplie les "fausses questions, les accoutumant dès le plus jeune âge à un langage scolaire". Il convient donc de "s'interroger moins sur les savoirs sélectionnés dans les programmes (...) que sur la façon dont ces savoirs sont enseignés", d'analyser "les pratiques enseignantes" et la possibilité donnée aux élèves de s’approprier le "curriculum invisible".

Mais que se passe-t-il lorsque les élèves réagissent à des enseignements portant sur des "questions politiquement sensibles". Benoit Urgelli (Lumière Lyon 2) évoque la nécessité pour les enseignants de "garantir la paix dans les classes" au risque de développer "des stratégies d’évitement et de neutralisation des controverses" (l'auteur n'emploie pas le terme d'autocensure, ndlr). Si les contestations constituent en réalité "un épiphénomène fortement médiatisé", il n'en reste pas moins que "les enseignants accompagnent la scolarisation de ces questions toujours avec prudence vis-à-vis des valeurs et des croyances des jeunes", prudence qui "se traduit parfois par un évitement des débats et une centration exclusive sur les savoirs disciplinaires à enseigner". Il constate pourtant que "la plupart des enseignants ne lâchent pas sur la nécessité de confronter les jeunes à la diversité des argumentaires articulant connaissances et valeurs, pour en comprendre les logiques propres".

Par ailleurs, que faire des "éducations à..." qui sont "apparues dans les années 1970, ont pris leur essor dans les années 2000 avec l’ambition non dissimulée de transformer l’école et les pratiques enseignantes", de passer d'une modernité "rigide, fermée, bardée de certitudes" à une post-modernité "souple, plurielle", "de s’émanciper des vieilles disciplines scolaires", de "travailler sur des valeurs, sur l’action et l’engagement politique des élèves". Alain Beitone (agrégé de SES) et Estelle Hemdane (INSPE d'Aix-en-Provence) soulignent "les limites épistémologiques et pédagogiques de ces enseignements", ce qui expliquerait "pourquoi les enseignants et l’institution semblent s’en détourner aujourd’hui", malgré leur inscription dans les textes officiels. "Les disciplines scolaires impliquent des professeurs maîtrisant les savoirs qui les composent" alors que les "éducations à" relèvent le plus souvent "d’une sorte de sens commun hétérogène et peu organisé (...). Comment avoir l’esprit critique et faire la différence entre un discours de sens commun sur la décroissance et une analyse de la soutenabilité des trajectoires de développement sans connaître les principes de base de l’économie de l’environnement, par exemple ? Comment étudier avec les élèves les enjeux des transformations des écosystèmes sans savoir ce que sont les relations de parasitisme ou de symbiose ?"

Se préoccuper de ce qu'il advient des savoirs hors de la classe

C'est dans une perspective un peu différente, mais convergente que Patrick Rayou (Paris 8) déplore avec "les membres du CICUR" (le collectif d’interpellation du curriculum) "qu’il n’y ait pas ou peu, dans le débat public, de place pour une réflexion sur les savoirs, sur ce que les élèves en font et ce qu’ils font aux élèves. Les polémiques récurrentes sur les méthodes de lecture ou les 'fondamentaux', par exemple, sont loin de rendre compte de la complexité et de l’enjeu de ces questions (...). Une question aussi névralgique que celle des devoirs à la maison peut être traitée, comme avec Devoirs faits, d’un point de vue essentiellement administratif (...), sans nécessairement se préoccuper de ce qu’il advient des savoirs qui circulent entre classes et hors classes et du processus selon lequel les élèves se les approprient ou non."

La revue ici

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