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Par quels processus les jeunes, au collège, sont séparés les uns des autres (Youssef Souidi, essai)

Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 10 avril 2024.

“L'accumulation de discours sur le manque d'intégration et de cohésion sociale d'une part, et la situation dans laquelle une partie des élèves ne font l'expérience d'aucune altérité sociale dans leur établissement scolaire, d'autre part, interrogent.“ Ainsi débute l'ouvrage du sociologue Youssef Souidi, chercheur postdoctorant au CNRS et à l'Université Paris Dauphine-PSL, qui se donne pour objectif d'analyser à la fois le rapport entre ségrégations sociale et scolaire, mais aussi de déterminer comment cette dernière peut-être alimentée, pour dégager au final des pistes d'amélioration entrevues par la recherche, dont celles qu'il a menées en collaboration avec Julien Grenet à Paris.

Car à rebours de la mission qui incombe au service public d'éducation, “la concentration de la difficulté sociale et scolaire au sein d'un même établissement est susceptible d'agir sur la réussite des élèves“, constate l'économiste. Il semblerait en effet qu'une lente dérive amène la réalité vécue dans les collèges à contredire l'idéal de mixité inscrit dans le Code de l'éducation depuis 2013.

Ségrégation sociale

Cette “sécession“ à l’œuvre serait en premier lieu le fait d'une ségrégation en partie résidentielle. Si au niveau national la ségrégation sociale entre collèges “est restée plutôt stable au cours des deux dernières décennies“, c'est la forme que prend cette ségrégation qui a évolué : d'un côté une baisse au cours du temps des écarts de composition sociale entre collèges publics, de l'autre un profil social des élèves scolarisés dans le secteur privé “qui a eu tendance à s'écarter de celui de leurs homologues du secteur public“.

En l'étudiant cette fois sous le prisme de l'individu, Youssef Souidi constate que le lien entre contexte résidentiel et scolaire “est bien plus ténu que ce que l'on pourrait penser a priori“. Déjà, seule une minorité d'élèves de 6ème sont inscrits dans un collège dont la composition sociale reflète fidèlement celle du voisinage, mais surtout, les élèves d'origine défavorisée auraient davantage tendance à être scolarisés dans des collèges à la composition sociale moins favorisée que celle prévalant dans leur quartier. A contrario, “il semble que les familles socialement favorisées qui acceptent (ou sont contraintes) de résider dans des quartiers où elles sont sous représentées sont attentives aux fréquentations de leurs enfants : ils se retrouvent dans des collèges à la composition sociale bien plus favorisée que ce que laisserait présager leur voisinage."

Mais d'autres facteurs entrent également en compte, comme la question de la ségrégation scolaire sous l'angle de l'origine migratoire qui “peut atteindre des niveaux substantiels“ mais “reste taboue“, la forte corrélation entre ségrégation sociale et académique notamment dans les départements qui se retrouvent avec des niveaux plus élevés dans les deux catégories, ou encore la mixité intra-établissement alors que “moins de 5 % des principaux de collège déclareraient que la répartition des élèves se fait de manière aléatoire“ et que 25 à 45 % des établissements adopteraient une politique de ségrégation sociale active.

Ségrégation scolaire

La ségrégation scolaire, elle, serait entre autres le fait de parents qui “craignent en particulier que la présence de camarades rencontrant des difficultés scolaires détourne l'attention des équipes éducatives au détriment de leur propre enfant“. Une pression importante s'exerce par ailleurs sur les familles qui sont “incitées à se comporter en consommatrice du service d'éducation“, d'où les stratégies d'évitement ou de recours au secteur privé sous contrat.

Ainsi 13 % des élèves fréquentent un collège public qui n'est pas celui de son secteur, les moins attractifs étant “désertés“ par les catégories socialement favorisées. En outre, 40 % des “couples de collèges voisins“ se retrouveraient avec des secteurs de recrutement relativement éloignés du point de vue de leur composition sociale, tandis que seraient recensées une centaine de frontières discriminantes séparant “fréquemment“ des blocs géographiques bien identifiés“. Enfin, les dérogations (favorisées sous le mandat de Nicolas Sarkozy) sont passées au total de 4 à 8 %, tandis que seuls 4 % de celles concernant des critères boursiers sociaux “ont effectivement demandé une dérogation pour ce motif “.

Mais faudrait-il pour autant forcer les élèves à respecter la carte scolaire ? Cette dernière fait actuellement l'objet de nombreux débats, d'autant qu'il n'existe pas de tracé naturel dont la définition revient à des décisions politiques. A cela s'ajoute une évolution dans ses objectifs et critères depuis 60 ans ainsi qu'une séparation des rôles entre les départements (responsables du tracé de sectorisation) et les services déconcentrés de l'Education nationale (responsable de l'affectation).

Chemin de traverse

Autre “chemin de traverse“, le secteur privé sous contrat, pour lequel “le spectre de la guerre scolaire plane sur toute tentative de réforme“. Devrait-on là encore fermer les établissements privés ? La tendance récente au niveau du collège est à une augmentation de son poids (de 19,4 % en 95 à 21,5 % en 2020), avec en son sein un phénomène d'embourgeoisement (la part d'élèves socialement favorisés est passée de +13 points en 1989 à + 24 points en 2022). Ces établissements sont “héritiers d'un régime qui leur est largement favorable puisque majoritairement financés sur fonds public, tout en n'ayant aucune contrainte en matière de recrutement des élèves“, déplore le sociologue, qui pointe pour les élèves défavorisés les “importantes barrières potentielles pour y accéder“ (obtenir de l'info, constituer un dossier, régler des frais de scolarité, de dossier, de cantine...).

Pourtant, “à moyen et long terme, être dans un établissement plus mixte, c'est avoir une capacité de projection plus grande dans l'enseignement supérieur et le monde professionnel par la rencontre d'autres milieux sociaux“.

Vers la sécession scolaire ?, Youssef Souidi, éditions Fayard, 232 p., 20 euros.

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