Financement public de l'enseignement privé sous contrat : un cadre légal à revoir de fond en comble (rapport, Assemblée nationale)
Paru dans Scolaire le mardi 02 avril 2024.
“Après quarante ans de statu quo, (...) la France est aujourd’hui à la croisée des chemins. Deux options s’offrent à elle : laisser la concurrence entre établissements publics et privés se développer, ou assumer un pilotage public renforcé passant par un renouvellement de la relation contractuelle qui lie les établissements privés sous contrat à l’État.“ Voici l'une des réflexions de la mission d'information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat, qui ressort du rapport voté mardi 2 avril par la Commission des affaires culturelles et de l'Education de l'Assemblée Nationale.
Après avoir mené 43 auditions, les rapporteurs Paul Vannier (LFI) et Christopher Weissberg (Renaissance), dont les positions divergent sur de nombreux points, ont élaboré 55 propositions pour faire évoluer un système de financement qui, comme a pu le démontrer la Cour des comptes l'an dernier en ce qui concerne son contrôle, semble à la fois obsolète, peu rigoureux et sans contreparties quant à la mission qui incombe à l'enseignement privé sous contrat.
Dans le rapport de 175 pages, il est ainsi question du montant des dépenses publiques, qui ne serait pas totalement connu malgré des estimations, et notamment au regard d'investissements indirects non pris en compte dans son calcul. Il peut s'agir de subventions et garanties d’emprunt, qui sont facultatives mais “relèvent d’un arbitrage politique“ : par exemple, tandis que la région Île-de-France accordait à ce titre 2 millions d’euros aux lycées privés sous contrat en 2016, a été votée pour 2023 “l’attribution de 11 millions d’euros d’autorisation de programme en prévision de travaux dans les 215 établissements privés, soit une augmentation de 450 % en sept ans“. Or ces mécanismes, poursuivent les rapporteurs, “conduisent à financer directement sur fonds publics un patrimoine privé, propriété des établissements qui reçoivent les subventions", même si pour M. Weissberg “ces subventions permettent de réaliser des objectifs d’intérêt général, tant que leur usage est contrôlé efficacement par les autorités compétentes.“
Le forfait d'externat fait également l'objet de questionnements quant à son périmètre, à la fois “flou“ et “sujet à contentieux“. En effet, “bien qu’une circulaire détermine la liste non exhaustive des dépenses obligatoirement intégrées au calcul du coût moyen de la scolarisation d’un élève du public pour ce qui concerne les communes qui peuvent être prise en charge en dépenses ou en nature, il apparaît que chaque collectivité territoriale retient, en réalité, un périmètre et un mode de calcul différents, en raisons parfois de choix politiques ou à la suite de discussions avec les établissements“, l’Association des maires de France (AMF) évoquant même lors de son audition des “discussions de marchands de tapis“. Cette dernière constate également des pressions nouvelles survenues après la signature du protocole d’accord entre l’Éducation nationale et le secrétariat général de l’enseignement catholique concernant les engagements des écoles privées en matière de mixité sociale et scolaire en mai 2023 “pour augmenter le montant des forfaits communaux et prendre potentiellement en compte les frais de cantine“.
Apparaît dès lors une certaine “faiblesse du pilotage public des établissements privés sous contrat“ du fait que dans le dispositif piloté par la direction des affaires financières du ministère de l’Éducation nationale (DAF), “la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) demeure extrêmement périphérique, non seulement dans l’allocation des moyens et dans les dispositifs de contrôle budgétaires, mais également dans la diffusion et la vérification de la bonne application des politiques publiques de l’éducation, qui sont pourtant le cœur de son action et concernent, s’agissant des établissements privés, près de 17 % des élèves français“.
Les rapporteurs font par ailleurs état de “détournements potentiels de fonds publics“ résultant de différents mécanismes : des personnels de direction qui gardent une ou plusieurs heures d'enseignement sans jamais être effectuée(s) mais bien rémunérée(s) par l'Education nationale, des cours qui durent 50 minutes au lieu d'une heure permettant l'ouverture d'une option supplémentaire dans l'établissement et améliorant de ce fait son attractivité, ou encore le financement par le Pacte enseignant de missions davantage “liées au caractère propre de l’établissement ou à son projet éducatif“.
Au-delà de ces possibles dérives, les rapporteurs mettent en avant un mécanisme de financement de l'enseignement privé sous contrat marqué du sceau de l'opacité, que ce soit dans l'attribution des moyens d'enseignement qui se situe dans une “zone grise“ de négociation opérée directement entre les OGEC et le ministère de l'Education nationale (cela vaudrait pour les autres réseaux d'écoles sous contrat, mais dans une moindre mesure au regard du poids qu'ils représentent, 96 % des établissements privés étant catholiques, ndlr), ou au sujet des contrats et des comptes des établissements qui ne respectent pas le “cadre légal“ et seraient peu contrôlés faute de moyens de l'administration, le tout se faisant dans un “climat de confiance“ accepté par tous les acteurs.
Il n'y aurait en outre pas de système d'alerte, et les contrôles “approfondis“ seraient très rares. A part dans le cas du lycée Averroès (voir ToutEduc ici), ayant fait l'objet d'une “différence manifeste de traitement“ par rapport à l'établissement Stanislas (voir ici) selon Paul Vannier, si des cas graves surviennent la direction pourrait être renouvelée mais jamais le financement ne serait contesté et le contrat rompu (un seul cas existerait, remontant à 1992, ndlr).
En conclusion, les auteurs du rapport soulignent un ensemble d'éléments qui “tendent à créer un déséquilibre croissant entre l’enseignement public, soumis à la carte scolaire et à l’ensemble des obligations liées à sa mission de service public, et l’enseignement privé qui peut s’y soustraire bien qu’il soit très majoritairement financé sur fonds publics.“ Comme a pu l'évoquer le sociologue Choukri Ben Ayed lors de son audition, sont mis en concurrence “un système qui accepte tous les élèves et un autre qui a des droits de sélection, et pour lequel le coût reste relativement accessible, parce qu’il est très largement subventionné par l’État et les collectivités territoriales“. Le privé “est placé dans une situation telle qu’il peut proposer des options attractives, afficher des résultats scolaires excellents ou encore un climat scolaire serein, mais aussi s’implanter dans des territoires ‘stratégiques‘ pour attirer de nouveaux élèves“ et supporte “une part bien moins importante de la charge de l’inclusion des élèves en situation de handicap“. Une concurrence qui, selon la Fédération des délégués départementaux de l’Éducation nationale, “naît et se nourrit d’un rapport de plus en plus individuel à l’école, dans une logique de marchandisation qui affecte désormais tous les aspects de la société.“
A noter comme propositions :
N° 10, Paul Vannier : Se conformer à l’article 2 de loi de 1905 : mettre un terme aux dialogues de gestion entre le ministère de l’Éducation nationale et les représentants de réseaux d’établissements privés désignés par des autorités religieuses.
N° 11, Christopher Weissberg : Modifier le code de l’éducation pour y intégrer les organes têtes des différents réseaux d’établissements d’enseignement privés, confessionnels ou non, afin, d’une part, de préciser les critères permettant d’admettre leur caractère représentatif et, d’autre part, de définir et d’encadrer leur rôle, notamment dans le cadre de l’allocation des moyens.
N° 15, Christopher Weissberg : Demander aux recteurs une vigilance particulière s’agissant de l’ouverture d’annexes, qui doivent s’inscrire strictement dans le respect du cadre fixé.
N° 16, Paul Vannier : Sauf autorisation du recteur, interdire toute ouverture d’annexe implantée à plus d’un kilomètre de distance de l’établissement à laquelle elle est rattachée.
N° 42, Christopher Weissberg : Rendre obligatoire la prise en compte de l’IPS dans le modèle d’allocation des moyens de l’État aux académies et dans la répartition infra-académique de ces moyens.
N° 43, Paul Vannier : Intégrer un mécanisme de malus diminuant la dotation en moyens d’enseignement des établissements privés sous contrat dont l’IPS est supérieur à la moyenne pondérée de l’IPS des établissements publics de même rang situés dans le secteur de carte scolaire où ils sont implantés.
N° 50, Christopher Weissberg : Soumettre tout refus de réinscription d’un élève en cours de cycle à autorisation du recteur ; pour les cités scolaires comprenant un collège et un lycée, demander au recteur une vigilance particulière sur le taux de poursuite de scolarité à la fin de la 3ème, le cas échéant en sollicitant des chefs d’établissements des éléments de nature à justifier un taux anormalement bas.
N° 51, Paul Vannier : Introduire un mécanisme de pénalité financière des établissements privés sous contrat pratiquant l’éviction des élèves les plus en difficulté sous la forme d’un montant remboursable à l’État de 10 000 euros par élève interdit de poursuivre son parcours scolaire au sein de l’établissement ou de la cité scolaire.
Le rapport ici