Après de nombreuses dérives, une baisse drastique de l'adoption internationale... et des pratiques illicites qui se déplacent (Mission interministérielle)
Paru dans Justice le mardi 19 mars 2024.
“Ont été notamment relatées des situations d’enfants faussement déclarés morts, d’enfants changés d’orphelinat pour ne pas être retrouvés par leurs parents biologiques et devenir adoptables par abandon, de fausses mères signant des consentements à l’adoption, de consentements arrachés à des parents qui ne savaient pas lire à qui l’on promettait que leurs enfants reviendraient auprès d’eux après de meilleures conditions d’éducation, d’adoptions jamais finalisées dans le pays d’origine sous couvert de visas obtenus pour des soins en France...“
Voici ce qu'écrivent les trois Inspections générales (affaires étrangères, justice et affaires sociales) dans le rapport de la mission interministérielle relative aux pratiques illicites dans l’adoption internationale en France publié vendredi 14 mars, suite au 179 auditions menées entre décembre 2022 et juin 2023.
Dérives
Si celui-ci fait état de “plus de 120 000 Français (..) adoptés à l’étranger“, le développement rapide de l’adoption internationale à partir des années 60 “s’est accompagné, dans un contexte non ou peu régulé, d’importantes dérives.“ Ainsi, “l’adoption est devenue un marché potentiellement très lucratif, suscitant l’émergence de nombreux intermédiaires“ tandis que “le versement d’importantes sommes d’argent pour faciliter les opérations, ou le recueil d’un consentement parental en réalité très peu éclairé, semblent avoir été des pratiques courantes. L’adoption a aussi donné lieu à de véritables trafics fondés sur la falsification de pièces pour rendre un enfant adoptable, la ‘production‘ d’enfants pour adoption, le vol d’enfants à la maternité…“
Pourtant, l’exploitation des archives diplomatiques “montre qu’ambassadeurs et consuls ont alerté les autorités sur les dérives dont ils étaient témoins“. Aussi il “importe que les pouvoirs publics reconnaissent (..) qu'il y a eu carence collective dans la protection due aux enfants et que ces manquements ont pu avoir pour eux des conséquences dommageables jusque dans leur vie d’adulte.“
Reflux
La mission décrit ensuite un deuxième mouvement, un “encadrement progressif de l’adoption internationale“ en même temps qu'une transformation du regard porté par l’opinion publique. Cette “vision plus critique“ est notamment due, à partir des années 2000, aux témoignages de jeunes adultes adoptés qui “commencent à semer le doute sur les circonstances de certaines adoptions à l’étranger.“
Dès lors, un “mouvement de reflux important“ s'en est suivi, avec à partir de 2005 “une chute très marquée des adoptions internationales qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui“ : avec 232 enfants venus de l’étranger en 2022, contre 4 079 en 2004, le volume de l’adoption internationale en France “est près de vingt fois inférieur à son niveau d’il y a une vingtaine d’années“.
En amont, en périphérie et en aval
Si aujourd'hui “le dispositif français de l’adoption internationale est désormais solide et bien tenu“, d'autant que “le volume beaucoup plus faible des dossiers à traiter permet par ailleurs un exercice rigoureux et rapproché du contrôle“, la mission souligne des défauts quant à la répartition des contentieux entre les juridictions administratives et judiciaires et à l’éparpillement des procédures au sein de ces dernières : “une zone de risque demeure, qui se situe en amont de la procédure d’adoption proprement dite et concerne les circonstances et modalités selon lesquelles l’enfant va être déclaré adoptable et proposé à l’adoption.“
De plus, le risque de pratiques illicites “tend à se déplacer en périphérie de l’adoption proprement dite“ avec une recherche de nouvelles voies par certains candidats pour faire éventuellement venir un enfant de l’étranger.
Enfin le risque de dérives “se développe également en aval de l’adoption internationale, au niveau de la recherche des origines.“ La mission critique à ce titre “l’absence de dispositif organisé du côté français pour répondre à ces demandes qui se heurtent à l’éparpillement des procédures et à la multiplicité des institutions et sont renvoyées de l’une à l’autre pour des résultats trop souvent décevants“, un manque qui “conduit au développement d’un nouveau marché de la recherche des origines où, en l’absence de régulation, prospèrent des intermédiaires parfois douteux.“
Le rapport ici