Archives » Recherches et publications

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

L'avenir du français est en Afrique et dépend des écoles (AFAE)

Paru dans Scolaire le vendredi 15 mars 2024.

"L’avenir du français, de son devenir‐monde, est en Afrique (...). Kinshasa sera, dans un futur proche, la ville la plus francophone au monde (...). Que le continent cesse d’être francophone et la langue française ne sera plus que celle de l’Hexagone se prolongeant en Belgique et en Suisse, plus celle d’un coin au nord des Amériques (...). Au Sénégal, beaucoup de familles font aujourd’hui le choix (...) d’inscrire leurs enfants dans des écoles où ils poursuivront une scolarité en anglais avec les universités américaines en ligne de mire. Ce choix tient aussi aux problèmes que connaît l’école, un peu partout, or c’est là, pour l’essentiel, que se joue l’avenir francophone du continent africain." Souleymane Bachir Diagne (Columbia University) tire, dans le dernier numéro de la revue de l'AFAE (les "acteurs de l'éducation"), dont le dossier est consacré à la francophonie, les enseignements de ce qu'il voit dans les universités états-uniennes. "Il est arrivé" que des universités "procèdent à la création de départements multilingues dans lesquels le français se retrouve avec d’autres petits idiomes". Ce n'est toutefois pas le cas au Canada, où "apprendre et vivre en français en milieu linguistique minoritaire exige un fort engagement de la famille autour du projet éducatif de l’école", dans une société qui est "en mode bêta perpétuel", selon Jacques Cool ("catalyseur d’innovation pédagogique" à Montréal).

Second enseignement, tiré par Jean‐Paul de Gaudemar (recteur honoraire de l’Agence Universitaire de la Francophonie), "si elle oublie ses valeurs pour ne se préoccuper que de la langue, la francophonie peut être pire que le mal, comme pendant l’Empire colonial. Si, à l’inverse, quitte parfois à faire des concessions sur la langue, elle parvient à se concentrer sur ses valeurs, alors elle joue un rôle utile d’enrichissement de l’éducation."

Une langue et une école pour les élites

Et de fait, "dans la plupart des pays dits francophones (à l’exception de l’Europe de l’Ouest et du Québec) (...) le français reste une langue pour les élites". C'est ce qui explique, souligne Philippe Gaudin (directeur de l’Institut d’étude des religions et de la laïcité) que se développe dans les populations une "défiance à l’égard du système éducatif public français comme à l’égard de la laïcité française" et qu'il faut parler de "francophobie".

Or, troisième enseignement de ce dossier, "il y a un lien étroit entre école publique et laïcité dans l’histoire de la République française". C'est en effet le "modèle éducatif français" qui est en cause, estime Julie Higounet (cheffe de projet, Mission laïque française): "traditionnellement monolingue", il doit s'appliquer "à des contextes pluriculturels variés (...). Au lieu de chercher à homogénéiser l’expérience éducative, il est plus judicieux d’adopter une approche flexible qui valorise et intègre la diversité culturelle et linguistique des apprenants." Jean‐Christophe Deberre (ex-directeur général de la MLF) confirme : "l'école française à l’étranger campe sur des représentations anciennes (...), elle a longtemps fonctionné en quasi‐extraterritorialité. Elle apparaît encore (au Maroc, en Tunisie, en Afrique de l'Ouest et centrale, ndlr) comme une école de substitution pour une élite sociale urbaine".

Ce dossier entre en résonance avec "un vibrant discours sur la francophonie" prononcé par Emmanuel Macron en 2018. Le président de la République appelait les lycées de l’étranger à doubler d'ici 2030 leur nombre d’élèves, donc "à faire du chiffre, ce qui en matière scolaire est habituellement plus subi que voulu". Il est de plus publié quelques mois avant que la France accueille "le prochain sommet des chefs d’État et de gouvernement francophones au château de Villers‐Cotterêts, siège de la toute nouvelle Cité internationale de la langue française". Et pour Xavier North (ex-délégué général à la langue française et aux langues de France), "l’école, c’est d’abord la langue".

Quelle langue pour quelle école ?

Encore faut-il que les apprenants aient accès aux savoirs dans "une langue qui leur soit accessible", met en garde Koia Jean Martial Kouamé (Université Félix Houphouët-Boigny, Cocody-Abidjan) qui évoque la place du français dans les écoles ivoiriennes : le système scolaire "ignore (les) langues maternelles (des élèves) et les variétés locales de français qui leur sont familières", on leur demande d'accéder à la "maîtrise orale et écrite de la langue française (...). Le passé douloureux vécu par les populations des ex‐colonies françaises peut entacher l’image que l’on a aujourd’hui de l’école et parfois de la langue française (...). L’école doit se réinventer, couper les ponts avec les considérations idéologiques qui l’ont fait naître en Afrique, pour se mettre au diapason des aspirations d’États et de sociétés désormais indépendants."

Ce qui vaut pour les écoles nationales vaut pour les écoles françaises à l'étranger, mais aussi pour les écoles de France : "Il paraît souhaitable à tous égards de promouvoir tôt dans la scolarité la diversité des langues, y compris celle des formes du français", estime Jean-François Chanet (Centre d’Histoire de Sciences Po) qui se "risque à parler à ce propos de francophonie équitable".

Reconnaissance des diverses formes du français, mais aussi de la diversité de la littérature francophone, comme le fait remarquer François-Jean Authier (professeur en CPGE) : "Portion congrue des études littéraires, la francophonie à laquelle les programmes scolaires s’appliquent (en France) (...), c’est l’Afrique. Ce n’est de surcroît que l’Afrique, dans son aire essentiellement subsaharienne", et elle se résume à quelques oeuvres, méconnaissant "la forêt éditoriale" francophone.

Pour quel message ?

Et d'ailleurs, quel est l'enjeu du développement ou du maintien des écoles françaises à l'étranger? Paul Mathias (inspecteur général de philosophie) estime que "le rayonnement de la francophonie" tient à "l’inclination proprement 'philosophique' de l’école française, qu’on retrouve anecdotiquement dans un culte récent de 'l’esprit critique', mais réellement dans l’enracinement séculaire d’un enseignement généralisé de la philosophie". Il cite à ce propos Alain pour qui "Penser, c’est dire non!"

Le système scolaire français peut-il exporter ainsi son "inclination philosophique" et apprendre aux jeunes gens du monde entier à "dire non" ? La langue français, "langue monde" peut-elle résister à l’anglais "utile" ? Quelques chiffres donnent la mesure : "sur les quelque 320 millions de francophones recensés par l’observatoire de la langue française de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), 80 à 90 millions seulement sont considérés comme locuteurs de langue maternelle. On n’hérite donc généralement pas de la langue française, on l’apprend, et on l’apprend d’abord à l’école. La même source considère que 93 millions d’élèves et étudiants suivent un enseignement en français (78 millions sans la France), dont plus des trois quarts sont en Afrique et dans l’océan Indien". Non seulement l’avenir du français "est en Afrique", mais cet avenir est "entièrement lié à l’école" estiment les deux coordinateurs du dossier, Jean‐Christophe Deberre et Jean‐François Chanet.

"La francophonie en éducation : promesse d'avenir ou fausse question ?", n° 181, 162 p., 21€, ici

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →