Quelle influence ont les usages numériques domestiques sur la réussite scolaire selon les familles ? (REE)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le mardi 12 mars 2024.
Pour les enfants de milieu favorisé, les pratiques Internet "rares", liées à un fort contrôle parental, “semblent moins favorables à la réussite scolaire“ tandis que les enfants de milieu populaire ayant les pratiques les plus rares “obtiennent des résultats moins faibles que ceux déclarant des pratiques quotidiennes“, constatent Agnès Grimault-Leprince, Lila Le Trividic Harrache et Laurent Mell dans le numéro 55 de la Revue Recherches en Education.
Début 2018, les chercheurs ont mené une enquête par questionnaire sur le territoire breton auprès de 822 collégiens de 5ème ainsi que leurs parents, pour analyser les liens entre usages numériques domestiques et réussite scolaire par le prisme du rôle de la socialisation familiale.
Equipement et compétences numériques
Résultat, si les familles sont globalement équipées et connectées, l’environnement numérique des familles lui “se différencie, selon les équipements du foyer et les compétences numériques des parents, telles qu’ils les auto évaluent.“ Par exemple, 81 % des adolescents déclarent disposer d’une tablette, 80 % d’un ordinateur portable, 80 % d’une console de jeux, 73 % d’un smartphone et 66 % d’un ordinateur fixe. Cependant, les adolescents de milieux populaires “sont significativement plus nombreux que les autres à déclarer ne pas être équipés de tablette“, et ceux des classes supérieures “sont surreprésentés parmi les adolescents ne disposant pas de console de jeu (28 % pour 20 % en moyenne) et de smartphone (32 % pour 27 %).“
Interrogés également sur leurs compétences numériques, les parents “sont très majoritaires à se déclarer ‘plutôt à l’aise‘ ou ‘tout à fait à l’aise‘ pour ‘rechercher de l’information en ligne‘ (97 %), ‘se connecter à un réseau WIFI‘ (92 %), ‘vérifier la fiabilité des informations trouvées en ligne‘ (87 %), ‘contrôler avec qui ils partagent des contenus en ligne‘ (82 %) ou ‘paramétrer leur profil sur les réseaux sociaux‘ (74 %)“. Cette perception ne serait pas corrélée au milieu social sauf en ce qui concerne la recherche d’information en ligne, pour laquelle 64 % des parents de milieu populaire déclarent se sentir ‘tout à fait‘ à l’aise, contre 76 % des parents les plus favorisés, et la vérification de la fiabilité des informations, ces derniers étant 49 % à se déclarer très à l’aise quand les parents de milieu populaire ne sont que 37 % dans ce cas.
Accompagnement
Or ces compétences, expliquent les trois universitaires, “sont susceptibles de générer des différences sensibles dans l’accompagnement du travail des élèves“ notamment car elles “sont utiles à la réalisation des travaux scolaires et requises dans le cadre du socle commun de connaissances de compétences et de culture“.
Surtout que des changements sont apparus en raison de la “place croissante de l’Internet et de la culture numérique dans l’encadrement de la scolarité par les parents.“ Par exemple, 26 % des parents interrogés déclarent quotidiennement consulter les notes de leur enfant, et 20 % s’informer de son comportement, ce qui pour les auteurs “indique une volonté de suivi étroit de la scolarité“. De quoi imaginer que “les outils numériques ont renforcé le potentiel de contrôle des parents, permettant une adaptation instantanée de l’encadrement.“ L'enquête fait ainsi valoir des parents de milieu populaire “significativement surreprésentés pour la consultation quotidienne de l’ENT“, 36 % déclarant consulter chaque jour les notes (versus 15 % des parents les plus favorisés) et 30 % s’enquérir du comportement (versus 10 %) des enfants.
Au-delà de ces nouveaux apports, l'étude rejette l'idée de transmission d'un “capital culturel“ numérique selon le concept mis en lumière par Pierre Bourdieu : “que les parents déclarent ‘utiliser Internet pour se tenir au courant de l’actualité‘, ‘jamais‘ ou ‘plusieurs fois dans la journée‘ est sans effet significatif sur les déclarations de fréquence de lecture d’actualités en ligne par les enfants“. De même, “aucune différence significative n’est mise en évidence entre les déclarations des enfants concernant la fréquence de recherche d’informations en ligne pour réaliser leurs devoirs de mathématiques, que les parents déclarent aller ‘toutes les semaines‘, ‘tous les mois‘ ou ‘jamais‘ sur des sites pour aider leur enfant à réussir à l’école.“ Ainsi, il semblerait que les expériences socialisatrices “soient plus limitées dans le domaine du numérique que dans d’autres domaines culturels, et ce quelles que soient l’intensité de pratiques et les compétences numériques des parents.“
Contrôle et pratiques numériques
Mais quels effets des stratégies parentales socialement différenciées ont-elles effectivement sur la réussite scolaire ?
Pour cela, il faut tenir compte de la “complexité du rapport des parents au numérique lorsqu’il s’agit des pratiques de leur enfant.“ En termes de modalités et de temporalités d’accès, indicateurs de contrôle retenus ici, “les résultats sont très significatifs“ expliquent Agnès Grimault-Leprince, Lila Le Trividic Harrache et Laurent Mell. On retiendra que 41 % des parents avec un IPS bas et 56 % des parents avec un IPS élevé déclarent ne donner accès à Internet que sur demande, et ces derniers sont bien plus nombreux à ne pas donner accès aux réseaux sociaux. Néanmoins, 13 % des adolescents pour lesquels les parents déclarent l’absence d’accès aux réseaux sociaux avaient répondu être inscrits sur au moins un réseau social.
Ainsi dans les familles aisées, la “résistance aux écrans“ pourrait conduire “à limiter toute pratique en ligne, y compris celles directement scolaires ou proches de la culture scolaire.“ Inversement en milieu populaire, contrôle parental et fréquence des activités “sont généralement peu liés, et les parents reconnaissent d’ailleurs leurs difficultés à influencer les pratiques numériques de leurs enfants.“
Effets sur la réussite scolaire
La mise en rapport des résultats scolaires et des pratiques numériques adolescentes, au regard des stratégies parentales, est étudiée alors pour deux activités, la lecture d’actualités en ligne et la recherche de ressources pour réaliser ses devoirs de mathématiques.
Si comme vu précédemment, dans les familles favorisées, le contrôle est plus strict que dans les familles populaires, pour les auteurs “un exercice coercitif trop marqué n’est en rien une garantie de réussite scolaire“. En effet, bien que les résultats scolaires de ces enfants “sont d’autant plus élevés que la fréquence de lectures d’actualités est rare, l’absence de ces lectures est liée aux résultats scolaires les plus faibles". En outre, ce sont bien les adolescents qui déclarent rechercher quotidiennement en ligne des ressources pour réaliser leurs devoirs de mathématiques, avec un contrôle parental dans la moyenne, qui sont les plus performants.
A contrario, dans les familles populaires “des pratiques a priori proches de la culture scolaire, voire répondant directement aux attentes des enseignants, non seulement ne favorisent pas les bons résultats mais sont même associées à la difficulté scolaire“. Ceux qui ont les pratiques numériques les plus rares obtiennent alors “des résultats moins faibles que ceux déclarant des pratiques quotidiennes“.
De quoi interroger les stratégies éducatives de régulation des usages numériques élaborées par les parents pour répondre “à leur souci de favoriser la réussite scolaire“, concluent les auteurs, ce qui pose selon eux la question “des contenus des connaissances et des ressources issues des recherches réalisées par les adolescents.“
“Usages numériques domestiques et réussite scolaire. Le rôle de la socialisation familiale“, Recherches en Education n°55, ici