Ecoles privées et pédagogies "différentes" : un paysage contrasté (ouvrage)
Paru dans Scolaire le jeudi 07 mars 2024.
"Dès qu'ils mettent en oeuvre des alternatives éducatives, les acteurs quittent le ciel des idées et l'univers enchanté des utopies éducatives et doivent composer avec le réel et prendre en considération l'économie de leur projet." Philippe Bongrand, Marie Anne Hugon et Marie-Laure Viaud concluent ainsi l'introduction du dossier du dernier numéro de la revue "Les sciences de l'éducation - Pour l'Ere nouvelle". Ils partent du constat que la dimension économique des "pédagogies différentes" de "l'ordinaire scolaire" (ou qui s'auto-proclament "différentes") est rarement prise en compte par la recherche alors que les questions financières ont un impact sur les projets pédagogiques.
Certains établissements "emblématiques" sont de fait réservés à des privilégiés, 10 500$/an pour l'école "démocratique" de Sudbury Valley', 5 à 10 000£ à Summerhill, des coûts qui varient de 625 à 31 250€ dans les écoles privées d'une ville chinoise ! En France, dans les écoles sous-contrat, les frais varient de 400 à 900€, mais dans les écoles Montessori hors-contrat, les tarifs vont de 2 500 à 10 000€, voire davantage. Certaines écoles à but non lucratif comptent sur des bourses pour faire baisser les tarifs pour les élèves de familles modestes, d'autres misent sur le bénévolat d'une partie de l'équipe, d'autres sur le soutien de la municipalité quand elles ne s'appuient pas sur un réseau et sur une autre école, "déjà pérenne" alors qu'elles sont elles-mêmes très fragiles. Dans l'enseignement public, les établissements du 2nd degré disposent de budgets et pourraient développer des pédagogies différentes, mais la moitié d'entre eux n'a pas de projet et c'est à l'échelle de la classe que les pratiques pédagogiques peuvent différer, car à l'échelle de l'établissement, elles se heurteraient au principe de "liberté pédagogique" si elles cherchaient à s'imposer. Dans le 1er degré, les fonds de la coopérative scolaire sont orientés vers "les activités ordinaires" des enseignants.
Quant au développement des écoles privées, il se fonde parfois sur la recherche du profit et "les pédagogies alternatives sont bien l'objet d'un business". Côté parents, "pour des familles convaincues que l'école de secteur n'est pas fiable, l'important est moins d'accéder à un établissement 'différent' qu'à un établissement de substitution perçu comme viable", un projet spécifique étant de plus "gage d'implication".
Et d'ailleurs, les écoles "différentes" le sont-elles toujours ? Tous ces établissements "ne promeuvent pas des pédagogies différentes". Aux Etats-unis, dans les charter schools, "ce sont plutôt les pratiques habituelles, voire traditionnelles qui sont privilégiées. Dans la majorité des écoles chinoises privées, "compétition et tradition" sont valorisées. En France, les chercheurs pointent une autre difficulté, de petites écoles hors-contrat "affichent des principes égalitaires et démocratiques" tandis qu'en leur sein sont mal acceptées les inégalités "entre créateurs d'écoles, bénévoles et salariés", ce qui les fragilise.
"Les sciences de l'éducation, pour l'Ere nouvelle", La dimension économique des pédagogies différentes, Université de Caen - Normandie, le site ici