Parcoursup : trop d'informations tue l'information (rapport du CESP)
Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 06 mars 2024.
"il est indispensable que les candidats aient des informations précises" sur les débouchés offerts par les formations proposées sur Parcoursup et la plateforme Insersup, annoncée par la ministre de l'enseignement supérieur va "mettre à disposition des candidats des éléments sur les débouchés offerts par chaque formation et sur la qualité de l’insertion professionnelle". Elle sera accessible via Parcoursup cette année, indique le Comité éthique et scientifique de Parcoursup (CESP) qui publie son rapport 2023. La tonalité générale est plutôt positive, la confiance est plus grande, 96 % des élèves ont accepté une proposition d’admission dans une formation. "La transition Bac-3/Bac+3 commence également à devenir plus fluide même si la culture scolaire et la culture universitaire restent encore trop étrangères l’une à l’autre."
Les auteurs prennent bonne note de quelques améliorations du dispositif. Sur le site, "un tableau interactif très complet sur l’admission de leurs élèves" favorise dans les lycées "la réflexion collective autour de l’accompagnement à l’orientation des élèves (...). Un outil d’aide à la découverte des formations de l’enseignement supérieur, nommé MonProjetSup, devrait être intégré au site Avenir de l’ONISEP". Ils suggèrent qu'un label de type "nutriscore", "sur la base d’un certain nombre de critères", indique aux candidats le "score" qualitatif de chaque formation inscrite sur Parcoursup. C'est que "donner la plus large information possible aux familles et aux élèves" risque "de les submerger et de les angoisser quand cette information n’est pas clairement fléchée, lisible et compréhensible pour tous les intéressés".
Il propose aussi de revoir le calendrier, et d'avancer aux alentours du 15 juin la phase de hiérarchisation des voeux : "Les candidats auraient le temps de voir le début des réponses à leurs vœux et pourraient être accompagnés dans leurs lycées."
Le comité s’inquiète toutefois de plusieurs aspects du fonctionnement de Parcoursup et au-delà, de l'orientation des candidats à une poursuite d'étude. Il s'interroge par exemple "sur les raisons des difficultés pour aller vers plus de transparence" de la part des CEV (Commissions d’examen des vœux dans les établissements d'enseignement supérieur) et sur certaines pratiques "clairement discriminatoires" comme le "redressement des notes en fonction du lycée d’origine sur la seule base de la rumeur", "sans aucune méthode sérieuse".
La part grandissante du privé
Du fait de leur importance, une large part du rapport est consacrée à la place occupée par les formations privées: En 2023, 22 % des formations présentes sur Parcoursup hors apprentissage sont portées par des établissements privés, 1 % de ces établissements étant "hors contrat" ; "quant aux formations en apprentissage, ce sont 69 % d’entre elles qui sont dispensées par des établissements privés (...) , dont 37 % dans des établissements hors contrat." Certaines de ces formations "conduisent à des grades de l’enseignement supérieur ou à des diplômes reconnus par l’État (...) quand d’autres n’offrent pas du tout les mêmes garanties académiques." Dès lors, comment "mettre à disposition des candidats et de leurs familles les informations utiles sur la nature, le contenu et la qualité des formations proposées" ? Actuellement figure pour chaque formation "un logo censé renseigner le candidat sur le type de diplôme préparé et les garanties apportées par l’État sur la formation et/ou l’établissement porteur". Or, un simple coup d’œil à ces 17 logos "permet de mesurer la difficulté de l’exercice" et pour de nombreuses familles, "c’est l’affichage de la formation sur Parcoursup qui compte". Les familles sont de plus trompées par l'utilisation de certains termes comme bachelor qui peut désigner une licence professionnelle dans le cas du "bachelor universitaire de technologie", préparée dans les IUT, des diplômes d’établissements qui confèrent ... ou ne confèrent pas le grade de licence, certains ne bénéficiant "d’aucune reconnaissance par l’État", mais pouvant "quand même figurer sur Parcoursup“.
En ce qui concerne les BTS, "tout établissement, s’il est certifié Qualiopi, peut proposer sur Parcoursup une formation" de ce niveau. Or, la certification Qualiopi n'atteste pas de la qualité pédagogique des formations. "Par ailleurs le contrôle qualité présente une faille importante. Lorsqu’un problème est détecté dans une formation, il n’y a en effet pas de réelle possibilité de couper les financements publics, faute d’avoir ouvert des possibilités de sanction dans la loi." Des dysfonctionnements sont pourtant avérés. Certains organismes de formation privés hors contrat conditionnent la fourniture au candidat d’une liste des employeurs potentiels pour un contrat à la signature d’un engagement de sa part de supprimer tous ses vœux en attente sur Parcoursup. "Si le candidat in fine ne trouve pas d’employeur sur la liste qui lui a été fournie, il n’a plus d’autre solution que de suivre la formation hors statut scolaire et donc en payant sa scolarité." Le comité va plus loin : "L’effet d’aubaine du financement de l’apprentissage a fait incontestablement naître des formations parfois fantômes ou éphémères."
Des BTS qui ne font pas le plein
Contrairement aux formations par l'apprentissage, les STS "sous statut étudiant" peinent à faire le plein : "21 % des places sont vacantes dans les BTS alors qu’en 2018, 2019 et 2020, les BTS étaient remplis à 90 %".
La gratification prévue pour les lycéens de la voie professionnelle "risque de faire diminuer encore l’attractivité des BTS" : un bachelier professionnel "se tournera inévitablement vers l’apprentissage pour éviter une disparition de ses revenus."
Sylvie Retailleau a annoncé "que la piste privilégiée était la création d’un nouveau label", mais si celui-ci "ne permet pas de retirer de la plateforme les formations dont la qualité pédagogique pose problème (...), il aura manqué son objectif". Le Comité recommande donc de "n’inscrire sur la plateforme Parcoursup, à côté des formations conduisant à un grade ou un diplôme national ou à un diplôme reconnu par l’État, que les seules formations dont la qualité pédagogique est garantie par l’État".
Le CESP s'intéresse aussi aux quelque 200 000 candidats en réorientation : "la transition lycée/supérieur est une période de tâtonnement pour beaucoup d’étudiants. Les formations du supérieur doivent faciliter et accompagner ce temps de réflexion et de réorientation de leurs étudiants à travers différentes étapes et des temporalités différentes." Mais dans les universités qu'il a interrogées, "toutes les propositions de 'oui si' avec allongement de la scolarité ont rencontré de fortes résistances (...). Seul un accompagnement personnalisé de chaque décrocheur peut transformer en stratégie de réussite une réorientation précoce", ce qui pose la question des moyens dont disposent les établissements.
Le secteur de la production en difficulté
Autre sujet de préoccupation, si le taux de bacheliers entrant en IUT dans le secteur des services s'améliore, ce n'est pas le cas en production. Le comité constate que la série STMG est la seule orientation possible pour des élèves de 3ème "moyens" qui ne souhaitent pas passer dans l'enseignement professionnel et qui sont "trop fragiles pour choisir la voie générale avec ses trois points forts que sont les spécialités". Résultat, le vivier de baccalauréats technologiques diminue dans le secteur Production.
Le Comité pose aussi la question de "l’accompagnement des lycéens en matière d’orientation". Il constate que "les établissements proposent aux élèves un très bon accompagnement pour les aider à prendre en main et à utiliser la plateforme Parcoursup", mais que "la procédure complémentaire est un 'angle mort' pour les professeurs qui n’ont plus aucune visibilité sur les choix éventuellement proposés à leurs élèves et sur leur acceptation finale". Les huit établissements auditionnés ne peuvent "certifier que chaque élève a effectivement bénéficié de 54 heures annuelles d’éducation à l’orientation", un seul "fait état de plusieurs entretiens individuels d’orientation avec l’élève et ses parents (...). L’utilisation d’un outil numérique (de type FOLIOS) n’est jamais évoquée (...). L’engagement des professeurs principaux (...) ne tient qu’aux bonnes volontés individuelles et à leurs propres efforts d’autoformation : dans aucun des lycées auditionnés, on ne trouve un plan de formation pour les professeurs principaux, ceux de terminale notamment (...). Alors qu’en 2020, 82 % des élèves disaient avoir bénéficié d’un accompagnement pour réfléchir à leur projet d’orientation apporté par leur professeur principal, ils n’étaient plus que 73 % en 2023 (...). Face à la masse des informations à recueillir, à comprendre et à assimiler, les familles et les élèves sont en demande d’un accompagnement de proximité, individuel et personnalisé, comme le prouve le développement inflationniste du 'coaching Parcoursup' aux tarifs élevés et discriminatoires."
Le baccalauréat doit cesser d'être la finalité du lycée
Plus globalement, le Comité constate qu' "il n’existe pas d’instance où s’analyse et se discute les évolutions de l’offre, de la demande, des besoins économiques pour prendre des décisions concertées" en ce qui concerne l'offre de formation. Il constate également que la culture professionnelle des enseignants du secondaire reste marquée par "le programme et le baccalauréat". "Le moment est donc venu de dire clairement que la finalité du lycée général et technologique est de préparer les lycéens à l’enseignement supérieur."
Le rapport (une centaine de pages, très denses) ici