Fermeture d'une école hors-contrat : une mesure de police administrative et non pas une sanction (Conseil d'Etat, une analyse d'A. Legrand)
Paru dans Scolaire le mardi 05 mars 2024.
Une association a ouvert en 2021 un établissement d’enseignement privé hors contrat, "démocratique", intitulé "Ecole Ma voie" à Ayn, dans le département de la Savoie. Largement fondée sur un principe d’autogestion, qui se traduit, y compris dans les choix pédagogiques, par des modes de décision résultant en grande partie des votes collectifs des élèves, récusant en partie le principe du regroupement par classes d’âge, elle accueille une petite vingtaine de jeunes âgés de 3 à 18 ans.
En septembre 2022, un arrêté préfectoral a prononcé sa fermeture en application de l’article L. 442-2 du code de l’éducation, permettant à une des autorités de l’Etat compétente dans le cadre départemental, après mise en demeure, de prononcer ce type de mesures, en particulier en raison "d’insuffisances de l’enseignement, lorsque celui-ci n’est pas conforme à l’objet de l’instruction obligatoire … et ne permet pas aux élèves concernés l’acquisition progressive du socle commun".
Pour contester l’application à son cas de cette disposition, l’association "Ecole démocratique Ma voie" a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité devant le TA de Grenoble, en invoquant en particulier, une méconnaissance du principe de la liberté de l’enseignement, de la liberté d’association, de légalité des délits et des peines et des principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines. Sur transmission du TA, le Conseil d’Etat refuse le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel dans une décision du 16 février 2024.
Pour justifier sa décision, le Conseil recourt à une des distinctions les plus classiques du droit administratif, celle qui sépare la mesure de police administrative de la sanction administrative. La police administrative, activité de réglementation de l’usage des libertés publiques dans le but d’assurer le maintien de l’ordre public, a un caractère préventif et vise à empêcher le trouble à l’ordre public avant qu’il ne se produise. Elle peut donc avoir un caractère général et viser des personnes non identifiables à l’avance. La sanction administrative a au contraire un caractère répressif : elle consiste à punir un comportement qui a déjà eu lieu et elle a un caractère très personnel, puisqu’elle vise des personnes tout à fait identifiées.
Pour le Conseil, une "mesure de fermeture temporaire ou définitive a pour objet d’assurer la protection de la santé, de la sécurité et du droit à l’éducation des élèves et de prévenir les risques d’atteinte à l’ordre public. Dès lors, elle a le caractère d’une mesure de police administrative et non, ainsi que le soutient l’association requérante, celui d’une sanction administrative". Ce qui explique qu’elle ne peut ne méconnaitre ni les principes du respect des droits de la défense ou d’impartialité, qui ne la concernent pas puisque son destinataire peut être anonyme, ni le principe de légalité des délits et des peines, ni les principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines, puisqu’aucune peine n’a à être prononcée.
Et il ajoute : la mesure de fermeture administrative "ne peut être motivée que par les manquements, de nature à porter atteinte à l’ordre public, aux obligations fondamentales qui encadrent l’activité d’un établissement privé d’enseignement hors contrat (…). Elle ne peut être décidée qu’après mise en demeure de l’établissement, l’invitant, au vu des manquements constatés lors de son contrôle, à fournir des explications et à engager les actions nécessaires pour y remédier (... Elle) peut porter sur l’ensemble de l’établissement ou certaines classes seulement et peut être provisoire ou définitive. Elle est par ailleurs soumise à l’entier contrôle du juge administratif" et ne méconnait donc pas le droit au recours effectif garanti par l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
Dans ces conditions, les pouvoirs conférés au représentant de l’Etat par les dispositions contestées ne sauraient être regardés comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’enseignement, ni, en tout état de cause, à la liberté d’entreprendre". Le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel ne se justifie donc pas.
André Legrand