Histoire, enjeux et conséquences de la construction des politiques publiques d'éducation en France depuis 1950 (ouvrage)
Paru dans Scolaire le lundi 04 mars 2024.
Comment et par qui sont façonnées les politiques publiques d'éducation ? C'est à cette question que tente de répondre le chercheur Xavier Pons à travers une analyse des différents modèles ayant cours, notamment en France, mais aussi en Italie et au Portugal à titre comparatif, depuis les années 1950.
Le sociologue en Sciences de l'Education (U. Lyon 1) distingue trois modèles successifs dans l'hexagone, à commencer par la communauté de politique publique, composée d'un “nombre limité d'acteurs collectifs ou institutionnels qui gardent la main sur la définition des problèmes éducatifs justifiant l'intervention des pouvoirs publics“ : ministère, syndicats, associations de parents d'élèves et spécialisées...
Communauté de politique publique
Ce type de réseau, “assez fermé, plutôt homogène et relativement stable“, présente “une certaine efficacité au regard des objectifs qu'il se donne, mais il tend aussi à exclure les acteurs extérieurs à la communauté“. Dans ce modèle, la fabrique des politiques publiques est “sous contrôle“ et s'appuie sur la notion de propriété ; en effet, “tous les problèmes sociaux ne sont pas destinés à être pris en charge par les pouvoirs publics“ c'est pourquoi ils vont “être défendus par des acteurs mobilisés et influents, visibles ou discrets“.
Il s'agit ainsi, à l'instar des différentes réformes de l'évaluation des enseignants depuis 1990, “d'être capables de définir un problème d'une certaine manière, d'imposer cette définition particulière dans le débat public, de coupler à ce problème ainsi défini des solutions spécifiques, de désigner les responsables politiques pouvant mettre en œuvre ces solutions et enfin les interpeler“. Dès lors, les choix de fabrique consistant à vouloir contourner ou discréditer les acteurs centraux de la communauté de politique publique en présence (comme une certaine stratégie de “rapportologie“ ou un “passage en force“ après des annonce et consultation) se sont pour l'auteur “avérés inefficaces, contrairement à une fabrique choisissant d'associer étroitement ces acteurs“.
Décommunautarisation
La communauté de politique publique est ainsi “encore fortement présente“ malgré les tentatives de déstructuration, qui représente le deuxième modèle analysé sous le terme de “décommunautarisation“. Cette déconstruction progressive du modèle précédant se décline en désectorisation, dénationalisation, dérégulation, désétatisation ou encore dématérialisation. Elle s'inscrit “dans un même mouvement de politisation des problèmes éducatifs“ qui sont redéfinis, requalifiés selon une logique, et par des acteurs, qui “dépassent le cadre traditionnel de la communauté de politiques publiques“.
Un des exemples que choisit l'auteur est l'apparition de nouveaux acteurs comme les thinks tanks, cabinets de conseil ou organisations internationales (UNESCO, Commission Européenne...) : “la diffusion des résultats de l'enquête PISA, même limitée dans un premier temps, a été l'occasion pour les experts de l'OCDE de faire évoluer leur rôle d'experts invités à commenter des résultats statistiques à celui de conseillers des gouvernements successifs.“
Si ce modèle consacre une “logique d'ouverture de la fabrique des politiques d'éducation“, existe néanmoins un “risque de captations de ses enjeux au nom d'une lutte entre forces politiques constituées et à des montées en généralité parfois rapides, voire superficielles sur des questions de valeurs, de principes normatifs ou de justice sociale“.
Plusieurs conséquences découlent de ce modèle, par exemple une “requalification des problèmes éducatifs prioritaires", avec l'émergence de nouvelles problématiques qui “interrogent la capacité de l'école à assurer des missions de plus en plus larges“. En remettant en cause le modèle antérieur, ce modèle entraîne également une forme de contestation régulière qui se traduit par une “instabilité conjoncturelle très forte“. Elle a aussi pour “inconvénient majeur“ de fragiliser encore davantage les populations les plus vulnérables en faisant peser sur elles la responsabilité de leur situation défavorable.
Puzzle accéléré
Le troisième modèle (en cours et donc potentiel), appelé le “puzzle accéléré“ consiste à “mettre en œuvre rapidement et graduellement des solutions“, des “idées qui marchent“. Ici les gouvernements “avancent par petites touches successives rapides sur des dossiers qu'ils dépolitisent“, et qui “dessinent progressivement un changement structurel et politique de plus grande ampleur“.
Ce modèle s'appuie sur l'idée de fast-politique, construite autour de temporalités de plus en plus courtes, et tend à “mettre en œuvre par étapes successives des dossiers ou des programmes d'action publique apparemment déconnectés ou peu liés les uns aux autres“. L'auteur cite trois exemples, la réforme du bac professionnel en 2007, “gouvernée par une logique quantitative“ avec un “risque pointé de dérive certificative“, les évaluations standardisées des acquis des élèves mises en œuvre rapidement (avant expérimentation ou évaluation), ou encore la transformation de la gouvernance des écoles primaires.
Dans celles-ci, Xavier Pons note plusieurs éléments pouvant se conjuguer pour former un puzzle accéléré, à travers les effets du new public management. Sont cités l'expérimentation d'une plus grande autonomie de fonctionnement des écoles primaires (à Marseille avec l'institution de postes à profil), l'évaluation des écoles ou encore la loi Rilhac sur l'autorité des directeurs d'écoles, et grâce à laquelle “les transformations envisagées sont plus explicitement liées à l'impératif d'efficacité“. Mais “sur chacun de ces sujets, poursuit le sociologue, le Gouvernement avance par touches successives selon un rythme soutenu, sans pour autant évacuer toute forme d'incertitude : les décrets d'application de la loi Rilhac sont parus un an et demi après sa publication et introduisent de nouvelles formes d'incertitudes."
Et si à chaque fois les dispositions prévues “sont de portée limitée“, “mises bout à bout, ces pièces du puzzle dessinent progressivement, et toujours potentiellement, du moins jusqu'à ce que les dernières pièces du puzzle soient posées, un tout autre fonctionnement de l'enseignement primaire, avec des écoles beaucoup plus autonomes (jusque dans le recrutement des équipes) mais aussi beaucoup plus liées à une obligation de rendre des comptes, bref un schéma classique d'Etat évaluateur“.
Au final le puzzle symboliserait le “triomphe du néolibéralisme et de sa vision économiciste de l'éducation“ avec un “risque sérieux de perte de sens qu'induirait ce modèle“, dans lequel “des solutions sont pensées par des experts et des élites entrepreneuriales au niveau global, et piochées puis mises en œuvre par des gouvernants nationaux qui se retrouveraient alors en grande partie dépossédés de leur pouvoir d'imagination ou de conception des réformes et finalement réduits à un rôle d'exécutants“.
Sédimentation et complexification
Cependant, l'apparition d'un nouveau modèle “n'a pas impliqué la disparition du précédent dont il aurait pris la suite“, mais une couche nouvelle se forme, par “sédimentation des modèles de gouvernance“, et promettant “de nouveaux mélanges potentiellement complexes“. L'auteur souligne en outre la spécificité de la France qui possède un “cadrage fort au travers des valeurs républicaines“ et une “centralité toujours très forte du modèle de l'Etat enseignant“ : il ne serait “pas évident que pour une grande partie des acteurs de l'éducation et responsables politiques que l'efficacité puisse être une valeur fondatrice de l'école républicaine au même titre que l'égalité, la gratuité ou la laïcité“.
De plus, il constate à plusieurs reprises le (contre) rôle des acteurs sur le terrain, notamment la “distance critique dont font preuve plusieurs cadres académiques“, que ce soient les inspecteurs qui ont tendance à accorder beaucoup d'importance aux savoirs expérientiels face aux prescriptions et normalisations des pratiques pédagogiques, ou les recteurs qui ont un “rôle majeur de médiation“, d'impulsion et de valorisation d'initiatives locales qui alimentent en retour la réflexion des réformateurs nationaux.
La Fabrique des politiques d'éducation, Xavier Pons, Presses Universitaires de France, 216p., 23€