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Insuffisance éducative, handicap : en matière d'instruction en famille, la jurisprudence se développe (une analyse d'André Legrand)

Paru dans Scolaire, Justice le mardi 20 février 2024.

La jurisprudence administrative concernant les nouvelles règles de l’instruction à domicile, qui ont substitué un régime d’autorisation préalable au régime déclaratif antérieur, se développe. Deux nouvelles ordonnances viennent d’être rendues par le Conseil d’Etat le 6 février 2024, éclairées par les conclusions du rapporteur public, Jean-François de Montgolfier, parues sur ArianeWeb. Elles se sont initialement traduites par deux décisions discordantes, une suspension de la décision administrative attaquée par le juge des référés du TA de Poitiers, un rejet de la demande présentée par les parents par celui du TA de Grenoble. Le Conseil d’Etat a annulé les deux ordonnances et rejeté les demandes des parents dans les deux hypothèses.

Dans les deux cas, des parents se sont vu mettre en demeure d’inscrire leurs enfants dans un établissement d’enseignement scolaire public ou privé. Dans les deux cas, la décision du DASEN a été prise au vu des contrôles pédagogiques organisés en particulier au vu de l’article R. 131-14 du code de l’éducation, dont les résultats ont été négatifs. Mais, en outre, dans le cas de Grenoble, les deux enfants concernés souffraient de handicaps, l’une de troubles de l’attention et de l’apprentissage, l’autre de surdité bilatérale sévère et de troubles de la vision et de l’élocution.

Selon l’article L. 131-5 du code de l’éducation, quatre motifs peuvent justifier une autorisation d’instruction dans la famille, “sans que puissent être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l‘enfant : 1°) l’état de santé de l’enfant ou son handicap ; 2°) la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ; 3°) l’itinérance de la famille ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public ; 4°) l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant“.

La famille de Poitiers, dont l’enfant était scolarisé dans la famille depuis plusieurs années, avait obéi à l’injonction du préfet. Elle ne contestait pas le retard de scolarisation ni le niveau insuffisant de l’enfant ; elle disait seulement que sa scolarisation serait de nature à bouleverser ses habitudes de vie et à créer un stress ; le juge avait admis cet argument pour conclure à l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision du DASEN et en suspendre l’application. Mais, souligne le rapporteur public, il résulte de l’article L. 131-10 du code que “le contrôle pédagogique ne se résume pas à un simple test de connaissances et d’aptitudes entraînant automatiquement la mise en demeure de scolariser si l’enfant n’a pas le niveau. Dans le cadre de ce contrôle, l’administration doit apprécier globalement si, compte tenu de ses capacités et de ses difficultés, l’enfant bénéficient effectivement, dans sa famille, de l’accès à l’instruction auquel il a droit“. C’est sur ce caractère suffisant que doit porter le contrôle, pas sur les conséquences qu’il convient de tirer d’un constat d’insuffisance. En se contentant de relever les difficultés d’adaptation, dit le Conseil d’Etat, le juge de Poitiers a dénaturé les pièces du dossier. Sa décision est donc annulée et, évoquant l’affaire, le Conseil d’Etat estime que la DASEN n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation et que son appréciation selon laquelle l’injonction de scolarisation ne porte pas atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant “n’est pas de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à sa légalité“. La requête des parents est donc rejetée.

Le cas de Grenoble, poursuit le rapporteur public, soulevait des questions plus délicates, du fait des handicaps dont souffraient les élèves et, tout particulièrement, le garçon. Le juge des référés a rejeté la demande de suspension pour défaut d’urgence, en se fondant sur la seule circonstance que les requérants n’avaient pas inscrit leurs enfants dans un établissement scolaire. Mais, relève le Conseil d’Etat, cela n’a pas d’incidence sur la situation des requérants qui restent tenus d’appliquer l’injonction -la non exécution étant passible de sanctions pénales- jusqu’à la fin de l’année scolaire suivante. En se fondant sur un argument sans rapport avec la question posée, le juge des référés a commis une erreur de droit. Sa décision est donc annulée.

Décidant d’évoquer l’affaire, le Conseil d’Etat estime que les décisions de la DASEN sont suffisamment motivées et que les arguments invoqués par les parents -procédure irrégulière, insuffisance de motivation, méthodes proposées inadaptées et irrespectueuses du droit de choisir les modalités d’apprentissage éducatif en tenant compte des handicaps des enfants, incompatibilité entre les dispositions du code de l’éducation et la convention internationale des droits de l’enfant- ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à leur légalité. Suspension refusée et recours rejeté sur le fond.

André Legrand

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