Pluridisciplinarité, chiens d'assistance juridique, coordination... Les questions autour des UAPED et de la prise en charge des violences sur mineurs (Délégation aux droits des Enfants)
Paru dans Justice le vendredi 16 février 2024.
“De plus en plus d'auditions se font au sein même des écoles. C'est scandaleux“ dénonçait Martine Brousse mercredi 14 février, interrogée par la délégation aux droits des enfants de l'Assemblée nationale sur la prise en charge des violences sur mineurs.
“Tout à coup les enfants voient arriver des policiers ou des gendarmes et on va, devant les copains copines, les emmener quelque part pour faire une audition“ s'insurge la présidente de La Voix de l’enfant, tout comme la pédiatre et médecin légiste Barbara Tisseron qui pointe le manque d'intérêt à procéder de la sorte.
Dysfonctionnements
Martine Brousse pointe d'autres dysfonctionnements dans le processus de recueil de la parole des enfants victimes de violences, comme le fait qu'aujourd'hui 80 % des auditions dans les unités d'accueil pédiatrique pour enfants en danger (UAPED) sont faites par des gendarmes : “les policiers ne se dérangent pas et ils ne veulent pas se déranger. Ce n'est pas qu'ils ne peuvent pas“, assène-t-elle.
Mais la situation est également très difficile pour les enfants quand les auditions ont lieu dans les commissariats de police, où des enfants de 6 ans sont parfois entendus pendant 5 heures “parce qu'à chaque fois on fait répéter à l'enfant, on lui relit ce qu'il a dit, vous imaginez le traumatisme ?“ Et si les enquêteurs évoquent une surcharge, un problème d'organisation, il lui semble au contraire que “ce sont eux qui compliquent les choses. Qu'est-ce qui fait qu'on ne pourrait pas ouvrir deux unités, deux salles d'audition ?
Atouts
Barbara Tisseron, responsable de l’UAPED (UMJ mineurs) du CHU d’Orléans, a expliqué les apports d'un tel lieu à la fois “adapté, protecteur, sécurisant pour l'enfant“ qui en arrivant a “répété 7 fois sa parole en moyenne“, précise-t-elle. “Avec ce regard pédiatrique, on est pas que dans la réalisation d'un certificat médico-légal, on est aussi dans l'idée de se dire : est-ce que cet enfant il va avoir besoin de soins somatiques, psychiques... mais aussi est-ce qu'il est protégé s'il rentre chez lui ce soir ?“ Elle évoque l'importance de recevoir les enfants en équipe pluridisciplinaire car pour “un diagnostic de maltraitance, c'est compliqué de donner un avis seul“. Elle explique notamment le rôle fondamental des secrétaires de l'unité qui gèrent le degré d'importance quand advient une affaire, alors que certains cas, comme celui de cette fille ayant appelé la veille en révélant un viol à l'école de façon répétée depuis un mois et demi, “il faut pouvoir recevoir ces mineurs en extrême urgence“, et dans ce cas précis pour procéder à des prélèvements ADN.
Autre importance, mettre en place une permanence de gendarmes (deux, trois jours par semaine) spécifiquement formés au recueil de la parole de l'enfant, comme le protocole NICHD qui permet d'obtenir, avec un récit libre, des questions (toutes) ouvertes et non suggestives, “30 % d'informations supplémentaires par rapport à des auditions standards“.
Elle souligne aussi le rôle des chiens d'assistance judiciaire, qui créent un lien de communication dès l'arrivée des enfants, qui aident à canaliser les victimes lors des auditions, même les plus petits enfants. Presque jamais refusés par les enfants, ils font aussi “des accompagnements de soin“ ou au moment de l'examen médical. Il s'agit donc d'un “vrai atout“ dans l'accompagnement des enfants victimes, mais Barbara Tisseron ajoute qu'il est nécessaire de l'intégrer au quotidien de l'unité.
D'ailleurs, cette importance d'être à demeure dans un environnement stable, cela se traduit par une forte “charge mentale“ pour ces chiens, qui selon Jean-Luc Vuillemenot “présentent souvent des signes de vieillissement précoce“. Le membre de l’association Handi’chiens considère que “ces chiens d'assistance ne sont pas des chiens tout venant“, car ils ont suivi un “cursus de formation qui les amène à être opérationnels au bout de 24 mois“, et ils ont été “repérés doucement dans leur capacité à pouvoir sans la parole entrer en relation avec des enfants victimes“. Mais son prix de revient, 17 500 euros, est important et avec une convention passée avec le ministère de la justice (voir ici) afin que chaque juridiction puisse disposer à la fin du quinquennat d'un chien d'assistance judiciaire, des questions se posent pour répondre financièrement (pour les demandes hors convention) et techniquement à la croissance des demandes.
Mais la “complexité“ du protocole d'accord signé avec la chancellerie fait cependant dire à Martine Brousse qu'elle “ne demande pas à l'état de prendre en charge financièrement“ la participation aux coût de l'animal, ayant “des donateurs privés, des entreprises qui veulent parrainer“ un chien dans les unités d'accueil.
Coordination
En revanche, elle critique davantage le déploiement des nouvelles UAPED après que l'Etat ait décidé de reprendre la main sur ces unités en 2021 : “il n'y a pas eu de passation, regrette-t-elle. L'état a repris les choses de telle façon qu'aujourd'hui les unités qui se créent ne fonctionnent plus, ce sont des kits qu'on a installés ouverts, un argent distribué de façon aveugle“.
Patricia Montes Lopez, présidente du Pôle France et UAPED ne dit d'ailleurs pas autre chose : “nous sommes très sollicités“ lors des ouvertures de nouvelles structures, il y a “beaucoup de méconnaissance“, de difficultés “au niveau du déploiement, de l'organisation, du recrutement de professionnels, du financement. (..) Il y a des UAPED qui ouvrent en 6 mois alors que cela nécessite 18 à 24 mois“. Elle demande, comme la présidente de la Voix de l'enfant, une “coordination nationale“ pour accompagner les professionnels des UAPED. Il s'agit pour cette dernière d'un “réel problème“ pour l'association qui “émet les plus grandes réserves, (..) s'est mise en retrait (..) et prendra la décision de suivre ou non lorsque nous aurons rencontré notre ministre déléguée“. Car selon elle “les unités sont en danger. Ce ne sont pas que des caisses d'enregistrement“.
La vidéo ici