La médecine scolaire confiée aux départements ? Il faudrait d'abord la réorganiser (inspections générales, exclusif)
Paru dans Petite enfance, Scolaire le lundi 22 janvier 2024.
"L’analyse de la politique de santé scolaire fait naître à maints égards une impression d’impensé, paradoxale puisque cette politique est l’objet depuis plus de vingt ans de rapports successifs (...) qui auraient pu inspirer des réformes utiles. Le premier de ces impensés est la disproportion évoquée, sans cesse accrue, entre les personnels en charge et les missions qui leur sont assignées." ToutEduc a pu se procurer un rapport de juin 2022, jamais publié bien que la loi du 21 février 2022, dite "loi 3DS", prévoyait que le Gouvernement devait remettre au Parlement "un rapport retraçant les perspectives du transfert de la médecine scolaire aux départements" dans les six mois suivant sa promulgation. A noter que la loi prévoyait que certaines dispositions devaient se fonder sur les conclusions des "Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant" fin 2022. Elles ne sont pas davantage publiées.
Les trois inspections générales, Education nationale, Affaires sociales et Administration qui signent ce "rapport au Parlement" estiment que "le 'pilotage' national paraît ténu. Les affectations des personnels de santé (...) ne semblent pas faire l’objet de réflexions de fond (...). Les constats et propositions récurrents des nombreux rapports consacrés au sujet depuis les années 1990 n’ont globalement pas été pris en compte."
Un état préoccupant en termes de santé publique, et de recrutements
Or les besoins en termes de santé publique sont réels, même s'ils sont mal quantifiés. "En 2013, 7 % des enfants de 3 ans ½ présenteraient un retard significatif du développement du langage oral, 8,5 % à 13 % des enfants de CE1 auraient un retard significatif en lecture, et de 6,6 % à 7,5 % présenteraient une forme spécifique, sévère et durable des troubles du langage écrit (dyslexie, dysorthographie) (...). Les troubles psychiques constituent en 2015 le premier motif d’admission en affection de longue durée des moins de 15 ans (...). En 2010, près de 2 % des femmes et 0,4 % des hommes de 15-19 ans ont fait une tentative de suicide au cours des douze derniers mois. La moitié des troubles mentaux se déclarent avant l’âge de 14 ans (...). De l'avis de tous les professionnels de santé, éducatifs et de vie scolaire rencontrés (par la mission d'inspection), les besoins se sont notablement accrus depuis la pandémie de la Covid 19."
On ne comptait pourtant, au 31 octobre 2022, que 819 ETP (équivalents temps plein) de médecins scolaires, alors que le plafond d’emplois était fixé à 1 504 ETP, et "les données disponibles montrent que l’effectif de médecins a été divisé par plus de deux entre 1996 et 2022". Il n'y a que huit académies (Nice, Aix-Marseille, Rennes, Guadeloupe, Réunion, la Corse, Paris et Lyon) où tous les emplois sont pourvus. Deux départements, l’Indre et Mayotte, ne disposaient d’aucun médecin scolaire. L'effectif infirmier s'établit à 7 579 personnes physiques pour l’année scolaire 2021-2022 (-11 % depuis 2017). L’effectif de psychologues du premier degré représentait 3 893 ETP au 30 novembre 2018. L'effectif des assistants de service social, 2 746 personnes physiques au 1er octobre 2022, "réduit en pratique leur rôle, pour l’essentiel, à des signalements, à l’exclusion de la plupart des actions de prévention et de suivi qui seraient nécessaires."
Une absence de structuration
Au manque de personnels médico-sociaux s'ajoutent des problèmes d'organisation. "Il n’existe pas de protocole de coordination, ni d’organisation entre les médecins et les infirmiers à une échelle de proximité", les médecins conseillers techniques auprès des recteurs “ne sont pas les supérieurs hiérarchiques des médecins de l’académie; il en va de même des infirmiers conseillers techniques vis-à-vis des infirmiers de santé scolaire (...). Au surplus, une partie notable des postes de médecins conseillers techniques et d’infirmiers conseillers techniques sont vacants, ce qui accentue encore l’absence de structuration (...) entre les interventions respectives des différentes catégories de professionnels".
"Devant l’impossibilité de mener à bien avec les moyens disponibles l’ensemble des missions, celles-ci ne sont généralement pas supprimées ou diminuées, certaines sont au contraire amplifiées (...)." Et pourtant, même en supprimant d’autres missions, il est pratiquement impossible "de mener à bien plusieurs bilans de santé destinés à l’ensemble des élèves scolarisés, eu égard à l’effectif global de médecins."
Des missions à revoir puisqu'elles ne sont pas remplies
Les trois inspections générales analysent les conditions de réalisation des missions qui sont assignées aux personnels médico-sociaux : les bilans de santé, la délivrance d'avis médicaux d'aptitude "pour les jeunes en formation professionnelle, lorsque ces formations comportent des travaux dangereux", "identifier et compenser des troubles de santé invalidants", assurer "les consultations à la demande des élèves, de leur famille ou des équipes éducatives" ainsi que "les actions de prévention collective et d’éducation à la santé". Ce n'est évidemment pas possible "hors l’hypothèse largement virtuelle d’une démultiplication de ces personnels". Une redéfinition de leurs missions s'impose donc. Elle est d'autant plus nécessaire que, s'agissant des attestations délivrées aux élèves de l'enseignement professionnel, elles sont produites, dans certains cas que le rapport ne quantifie pas, "sans visite médicale effective". Or la délivrance d'attestations dans ces conditions est contraire aux dispositions du code de la santé publique, elle engage la responsabilité du médecin, mais aussi celle des chefs d’établissement "qui acceptent de scolariser, sans l’attestation médicale obligatoire, des élèves confrontés à des travaux dangereux".
La situation est d'autant plus problématique que les médecins du travail délivrent chaque année un nombre élevé d'avis d’inaptitude pour des salariés, et qu'on peut penser qu'il devrait en aller de même pour des élèves... Peut-être, s'interrogent les rapporteurs, pourrait-on se contenter d'une seule attestation pour le cursus qui mène au CAP ou au baccalauréat professionnel au lieu d'une attestation annuelle ?
Travailler avec les PMI, revoir le rôle des PsyEN
S'agissant des bilans de santé prévus aujourd'hui pour les 3-4 ans et pour les 5-6 ans, "la mission propose de les fondre en un seul, et d’organiser les moyens de la réalisation effective de ce bilan pour tous les enfants", médecine scolaire et de PMI réunies, puisque "d’ores et déjà, le cadre normatif confie la réalisation du bilan des 3 / 4 ans alternativement aux équipes de PMI et à l’éducation nationale". En ce qui concerne les élèves de troisième, le bilan qui était réalisé par des médecins avant les circulaires de 2015 "comportait un volet prévention (sexualité, addictions) et une attention particulière au bien-être des jeunes et à leur état psychologique (...). De récentes enquêtes en santé publique sur la santé mentale des jeunes montrent qu’une part importante d’entre eux souffre de troubles dépressifs et anxieux (...). Dans ce contexte, il existe une réelle interrogation sur le rôle des psychologues scolaires dans le second degré." Ceux-ci s’occupaient, avant leur nouveau statut, "exclusivement d’orientation" et beaucoup sont réticents à changer de perspective.
Pour les professionnels du secteur social de l’éducation nationale aussi, “le nombre de sollicitations, l’isolement face à la multiplicité des prises en charge qui seraient nécessaires, et un sentiment d’absence de visibilité génèrent de la souffrance au travail et des difficultés de recrutement. La mission estime nécessaire la structuration de services de santé et sociaux, réunissant médecins, infirmiers, assistants de services sociaux et psychologues, et devant être dotés de secrétaires médico-scolaires", poursuit le document.
Les conditions d'un transfert aux départements ne sont pas réunies
Reste que la loi de 2022, dite loi 3DS, prévoyait "le transfert de la médecine scolaire aux départements". La mission note l'existence de structures, comme les CLS, les contrats locaux de santé, "portés conjointement par l’agence régionale de santé et une collectivité territoriale" et les CPTS, les communautés professionnelles territoriales de santé qui "ont vocation à structurer l'offre de santé ambulatoire sur un territoire". Mais l’Education nationale "apparaît peu partie prenante de ces dynamiques locales, lorsqu’elles sont développées. Des médecins de l’éducation nationale rencontrés ont indiqué que lorsqu’ils y sont invités, c’est leur hiérarchie qui s’y rend".
La mission envisage donc en premier lieu la création d'un "service santé-social scolaire" au niveau départemental, placé "soit sous l’égide d’un portage de l’État maintenu, soit demain dans un cadre décentralisé", sur le modèle des services de PMI. D'ailleurs, "une organisation pilotée par les conseils départementaux d’un socle de missions refondu permettra des mutualisations et synergies avec les moyens déployés pour la protection maternelle et infantile".
Toutefois, les inspections générales mettent en garde, "ces gains potentiels pourront être pris en compte, mais devront l’être de façon prudente et différenciée, au regard des difficultés de financement de la PMI par les départements les moins dotés de ressources financières propres (...). La condition première pour une décentralisation aux conseils départementaux des missions de santé scolaire est un financement suffisant pour assumer cette politique publique." Le transfert aux départements ne pourra intervenir qu'après réorganisation et augmentation sensible du budget. Lorsqu'il évoque la difficulté de recruter des médecins scolaires, il note que le dernier échelon de leur rémunération atteint "à peine la rémunération brute du 3e échelon sur 13 des praticiens hospitaliers" !