Un tout autre regard sur les AESH (revue Empan)
Paru dans Scolaire le vendredi 19 janvier 2024.
Le métier d’AESH "s’inscrit dans la politique publique de l’inclusion dont l’argument principal est contenu dans la notion de désinstitutionnalisation", écrivent Julien Boutonnier, Clément Chabridon, Lin Grimaud, Alain Jouve (tous travailleurs sociaux) dans l'introduction d'un dossier que la revue Empan consacre aux accompagnant.e.s des élèves en situation de handicap. Ils rappellent que l'aide et le soin sont "désormais le plus souvent organisés en ambulatoire" et qu'il "s’agit là d’un axe de réformes structurelles engagées au niveau européen" : "Sa mise en œuvre implique que les enfants en situation de handicap soient accompagnés dans les écoles".
Mais "le législateur s’est abrité derrière la pertinence éthique du principe d’inclusion pour en ignorer les conditions de faisabilité", d'autant que "la fonction implicite de l’école en France (...) reste la sélection sociale". La présence d'enfants en situation de handicap nécessite donc "que les intervenants concernés élaborent à nouveaux frais leurs représentations de la fonction de l’école".
La fonction de l'AESH prend donc son sens "à partir de son implication dans le collectif scolaire et certainement pas, comme on pourrait le penser au premier abord, dans une logique de centration exclusive sur l’enfant accompagné".
Un ancien élève mal-voyant en témoigne d'ailleurs, "l'AESH a été déterminante dans la constitution du groupe classe. C’était quelqu’un vers qui on allait plus facilement qu’un surveillant ou un CPE par exemple." L'AESH joue d'ailleurs un rôle protecteur. "Certains professeurs faisaient des réflexions. S’il y avait eu une AESH dans la classe, cela ne se serait pas produit." Il raconte comment une professeure de mathématiques l'a humilié, "il y aurait eu une AESH, jamais cette phrase n’aurait été prononcée ou alors elle serait intervenue, elle serait allée lui parler après."
Mais la présence d'un.e AESH favorise-t-elle les apprentissages ? Rien n'est moins sûr. C'est pourquoi "construire une politique d’inclusion à partir d’une logique unique de compensation souffre d’un raisonnement biaisé (...). C’est d’abord le besoin de formation de tous les enseignants à la didactique de la diversité qui doit être pris en compte" et l'établissement doit être pensé comme un espace "de socialisation tout autant que d’apprentissage" et non pas sur "un schéma fonctionnel basé sur la réalisation du meilleur taux d’encadrement au moindre coût". La progression du nombre des AESH ne témoigne-t-elle pas d'une "progression continue du besoin de pallier (d)es carences de socialisation (...). Quel est, en France, l’état des schémas éducatifs et des valeurs communes ?“
Bernard Defrance (philosophe) fait d'ailleurs remarquer que l' "une des caractéristiques du système éducatif français est de morceler les diverses tâches nécessaires à l’accueil des enfants entre plusieurs acteurs : les enseignants, les assistants d’éducation, les conseillers d’éducation, les agents d’entretien, de cantine, les animateurs périscolaires, les ATSEM et les AESH". Il faudrait "que l’on cesse de lutter contre les exclusions par les méthodes mêmes qui les provoquent". Certains enseignants praticiens de la pédagogie institutionnelle savent d'ailleurs "créer les conditions de l’éducation à l’altérité".
Dominique Momiron et Frédéric Detchart (IEN ASH) dressent le portrait des AESH. Ce sont des femmes à 93 %, elles touchent un salaire compris entre 600 et 800 euros par mois, elles (ils) ont en moyenne 45 ans, pour plus de la moitié elles (ils) sont filles (ou fils) d'ouvriers et d'employés, mais 17 % ont des pères "cadres et professions intellectuelles supérieures". 11 % ont au mieux un diplôme de niveau CAP ou BEP, un tiers sont titulaires du baccalauréat et 54,2 % sont diplômé.e.s de l’enseignement supérieur. Les AESH "disent choisir cette activité moins pour des raisons matérielles que symboliques", par "sentiment d’utilité" et par "conviction", pointant par exemple "le plaisir lié à la réussite éducative de ces enfants qui accèdent comme les enfants valides aux savoirs dits 'fondamentaux' que sont la lecture et l’écriture."
Christophe Chevalier, Arthur Imbert et Alicia Jacquot soulignent que la situation faite aux ATSEM s'inscrit dans un processus historique, "la massification scolaire a permis à davantage d’élèves des classes populaires d’allonger leur scolarité (...). L’hétérogénéité des élèves a conduit les différents gouvernements à promouvoir ou créer des groupes professionnels pour suppléer les enseignant·es dans leurs missions (...). On peut penser, en France, aux conseiller·es d’orientation psychologues (copsy) ou aux conseiller·es principaux·ales d’éducation (CPE). Dans un deuxième temps, les États, confrontés aux politiques d’austérité, ont recruté des travailleuses plus précaires et moins formées (...). L’émergence de ces travailleuses – ces 'cols bleus de l’école' – s’inscrit dans un processus de 'prolétarisation' de l’éducation."
Prennent aussi la parole des AESH et des enseignant.e.s qui n'ont pas le même regard : "Certains de mes collègues (AESH) ont parfois été éducateurs ou professeurs des écoles, photographes, secrétaires, comptables, ont appris la langue des signes ou sont parfaitement bilingues (...). Mes expériences antérieures, toujours auprès de l’humain, m’ont donné un savoir-être que je n’ai pas retrouvé dans la formation que j’ai reçue. En effet, celle-ci (60 heures en ligne) est d’abord axée sur l’apprentissage des handicaps que nous pouvons rencontrer, puis articulée autour de cas réels que nous devons visionner. Ensuite, un QCM nous est proposé. C’est comme si à chaque pathologie correspondait une solution ! Or les enfants sont souvent porteurs de plusieurs difficultés à la fois et un problème est souvent la cause d’un autre."
"J’ai suivi en collège un élève dyslexique durant un an (...). Mes fonctions auprès de cet élève, bien que l’AESH ne soit pas censé construire des adaptations puisque c’est l’enseignant qui est maître de sa pédagogie, consistaient à essayer de l’aider à 'raccrocher' le wagon, à le mener à suivre le même rythme que les autres. Tâche ingrate : le temps de lire un texte, de le comprendre, l’ensemble de la classe en était déjà aux réponses ! Cet élève est resté en échec du début à la fin de l’année. J’ai demandé à l’enseignante ce que nous pourrions envisager pour lui permettre d’avancer. Voici la réponse qu’elle m’a faite : 'Je ne suis pas enseignante spécialisée.' Dans ce cas, le débat était clos. Je me heurtais à un refus total de l’inclusion."
"Mon expérience fait état que sur le terrain les AESH sont des femmes, sans connaissances spécifiques de l’enfant ou de l’école, le cas échéant en reconversion professionnelle par suite d’un burn-out, l’idée étant alors pour elles de garder un lien avec leurs compétences initiales (éducateurs de jeunes enfants ou spécialisés, professeurs du second degré) sans en avoir les responsabilités ni en subir la pression. Les équipes sont dès lors confrontées à devoir former les AESH, voire parfois rectifier leur travail auprès des enfants."
Une femme personnel de direction, Isabelle Furno, montre au contraire qu'il est possible, à certaines conditions, que la rencontre soit positive. "Dans un lycée rural du Lot-et-Garonne, grâce à un financement de l’agence régionale de santé, j’ai rendu possible l’intervention d’une psychologue clinicienne, qui a pendant deux ans animé des ateliers d’analyse de pratiques avec des professeurs de lycée professionnel en charge des certificats d’aptitude professionnelle. Cette équipe a été un modèle dans sa pratique et inspirante pour ceux qui enseignaient en baccalauréat professionnel." Elle dirige actuellement un lycée à Rabat : "La Mission laïque française a permis le recrutement d’enseignants spécialisés de façon à donner plus de moyens humains à l’établissement pour mieux gérer la prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers (...). Je suis convaincue que l’école inclusive démarre par le partage des valeurs humanistes : ne laisser personne au bord du chemin. Mais la conviction ne suffit pas, il faut une montée en compétence des personnels, qui doivent bénéficier d’une information sur le handicap et surtout qui doivent interroger leur pratique pédagogique, pour trouver la prise en charge adaptée qui sera bénéfique non seulement aux élèves à besoins éducatifs particuliers, mais à l’ensemble des élèves (...)."
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