Personne n'est capable de mesurer la totalité des dépenses publiques pour le privé sous contrat (P. Vannier, interview)
Paru dans Scolaire le mardi 16 janvier 2024.
Le député Paul Vannier (LFI), membre de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, est en charge d'une Mission d'information sur le financement des établissements privés sous contrat dont les recommandations sont attendues début mars. ToutEduc l'a interrogé sur la polémique suscitée suite aux propos de la nouvelle ministre de l'Education nationale, qui avait expliqué vendredi 12 janvier avoir choisi de scolariser ses enfants dans l'établissement privé sous contrat Stanislas à Paris en raison “des paquets d'heures qui n'étaient pas sérieusement remplacées“ dans l'école publique de son secteur (Littré).
ToutEduc : Après deux jours très agités, Amélie Oudéa-Castéra a fini par présenter des “excuses“ aux enseignants de l'école Littré qu'elle a rencontrés ce 16 janvier, qu'en pensez-vous et appelez-vous comme certains parlementaires à sa démission ?
Paul Vannier : Oui j'appelle à sa démission. Non pas parce qu'elle scolarise ses enfants dans le privé, c’est sa liberté. Mais parce qu'elle a menti pour dénigrer l’école publique, ses enseignants, afin de masquer les raisons véritables d’un choix personnel. Depuis que la ministre s’est engluée dans cette polémique, nous assistons à une forme de privatisation de la fonction. Or l'école publique pendant ce temps est en voie d'effondrement avec, par exemple, 1000 écoles qui ont été fermées depuis 2017. Mais de ça elle ne dit rien. Peut être parce qu’elle n’en sait rien étant manifestement dépourvue de toute qualification pour le poste qu’elle occupe.
ToutEduc : Sur le fond, il serait question du nombre d'heures non remplacées dans les établissements publics par rapport à ceux du privé. Quelle est votre lecture des propos tenus par la nouvelle ministre de l’Éducation nationale ?
P. V. : Le nombre d'heures non remplacées est un phénomène récent dans les proportions massives que l'on connaît actuellement (quelque 15 millions en 2022 selon l'ancien ministre Pap Ndiaye, ndlr). Ce phénomène a des causes politiques. Il résulte de la destruction du système éducatif engagée depuis 2017, notamment des 10 000 suppressions de postes d'enseignants. Parallèlement à ça, la dégradation de la condition enseignante est telle que de nombreux postes aux concours restent non pourvus. Les causes sont donc avant tout politiques, elles sont liées à des choix d'Emmanuel Macron dans une logique d'austérité vis-à-vis du service public qui s’accompagne d’un soutien au privé sous-contrat dont la dernière manifestation est le vote de la loi Blanquer (obligation de scolarisation des enfants à 3 ans) qui a entraîné le versement de plusieurs dizaines de millions d'euros grâce au forfait d'externat (46 millions selon le PLF 2024, ndlr).
ToutEduc : Nos confrères de Libération ont pointé du doigt l'argent public que reçoivent des établissements privés sous-contrat comme Stanislas où la ministre scolarise désormais ses enfants, et notamment les « financements facultatifs » versés par la Région. Votre mission d'information a-t-elle établi le même constat ?
P. V. : Notre mission d'information (menée avec Christopher Weissberg, co-rapporteur Renaissance, ndlr) qui est bien avancée dans ses auditions, fait le constat que personne n'est aujourd'hui capable de mesurer la totalité des dépenses publiques pour le secteur privé sous contrat. Tout le monde constate que pour cet argent public il n'existe aucun contrôle véritable. Nous sommes dans un système opaque qui permet probablement des détournements. Il y a une certaine forme d'omerta depuis 40 ans et les manifestations qui ont suivi la loi Savary de 1984, forgée autour d'une accusation implicite de vouloir rouvrir la guerre scolaire. Je crois que nous sortons de ce cycle. Cette polémique autour de la ministre ouvre aussi la possibilité d’avoir ce débat concernant les règles de financement des établissements privés sous contrat, afin de sortir de cette opacité et de cette absence de contrôle qui prévaut depuis si longtemps.