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Enseigner l'esprit critique, une fonction que l'Ecole peine à remplir (Revue Recherches en éducation)

Paru dans Scolaire le mercredi 10 janvier 2024.

"A l’heure où la réforme de 2018 de l’EMC paraît marquer le retour vers une focalisation davantage centrée sur l’éducation au respect de l’ordre républicain et à l’évitement des communautarismes et de la radicalisation religieuse que sur le développement d’une éducation à l’autonomie individuelle au service de la cohésion sociale", que peut devenir, et sous quelle forme, l'éducation à l'esprit critique, se demande Filippo Pirone (Université Paris Est Créteil, INSPE de Créteil) qui rappelle que, pendant longtemps, l'Ecole a visé "la fabrication d’un élève discipliné". Le bon élève était "plutôt silencieux, capable d’incorporer une discipline scolaire inculquée majoritairement de manière frontale et descendante". L'Ecole était donc "peu disposée à donner de la place à l’esprit critique et à l’expression libre de la parole de l’élève".

Cela change "à partir des années 1960" et la visée de "la constitution chez l’élève des dispositions au raisonnement scientifique, c’est-à-dire la curiosité, l’ouverture d’esprit et un regard critique vis-à-vis des dogmes (...). Dans ce cadre, au sein d’une école contemporaine se voulant très soucieuse de l’épanouissement global des enfants et des jeunes, la parole et l’expression personnelle de l’élève sont de plus en plus valorisées."

Avec les pédagogies constructivistes, "les élèves ne peuvent plus se contenter d’apprendre des savoirs : ils doivent désormais démontrer leur capacité à se les approprier et à les mobiliser de manière critique et autonome (...). La pédagogie du débat revient en force dans les derniers programmes de 2015 : ces derniers prévoient des 'discussions à visée philosophique' dans l’enseignement primaire, sur différents sujets tels que l’égalité des citoyens, et font des 'débats argumentés' une méthode clef de l’enseignement civique dans le secondaire."

Mais, fait remarquer l'auteur,  le mot "critique" n'apparaît que cinq fois dans le "socle commun de connaissances, de compétences et de culture, "sans jamais être clairement défini". Il note pourtant que "la capacité de rechercher la bonne information et de l’analyser afin de résoudre des problèmes complexes est une compétence sur laquelle les enseignants ont semblé parier". Il donne l'exemple d'une enseignante qui demande à ses élèves de "calculer la taille réelle d’une peluche prise en photo : afin de résoudre ce problème, les élèves devaient créer une échelle de la photographie en se basant sur les autres objets présents dans l’image". Il ajoute : "Il s’agit d’une sorte de pédagogie du questionnement critique qui paraît bien éloignée des modes de transmission frontale et descendante traditionnellement dominants à l’École de la République."

Il liste un certain nombre d'effets positifs, la participation active des élèves aux activités proposées, leur compréhension des règles du vivre-ensemble et du travail de groupe, un rapport au savoir "beaucoup moins instrumental, car beaucoup plus détaché des logiques de rentabilité scolaire", "un rapport plus 'distancié' à l’évaluation, en marginalisant l’importance de la note finale par rapport aux apprentissages pour soi". Mais il voit aussi que cette forme scolaire a "des inconvénients" et confrontent les enseignants à des difficultés. Les élèves ne peuvent garder actives leurs attitudes critiques et de questionnement "qu’au prix d’efforts constants". Il arrive que "quelques élèves monopolisent la parole" et surtout, les élèves ne comprennent pas toujours "le pourquoi ils devaient accomplir les tâches sollicitées par leurs enseignants", donc quels étaient les savoirs enseignés : "Ils ne peuvent pas voir que ces tâches ne sont que des étapes intermédiaires, faisant partie d’un processus d’apprentissage complexe et exigeant."

Et cet enseignement de l'esprit critique peut être détourné de sa fonction : "En recherchant une adhésion pédagogique de la part des élèves par la sollicitation à la participation active et semi-autonome, le travail autour de l’esprit critique y paraît surtout comme un nouveau moyen de maintien de l’ordre scolaire et de l’amélioration du climat de classe."

Filippo Pirone, "Quelle place pour l’esprit critique à l’École ? Étude d’un dispositif éducatif dit d’éducation par la recherche, Recherches en éducation  54 | 2024, mis en ligne le 1er janvier 2024 (ici)

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