Numérique à l'école, stop ou encore ? (INSERM)
Paru dans Scolaire le mardi 09 janvier 2024.
“Remplacer des supports physiques par des supports numériques, par exemple mettre le PDF d’un texte sur une tablette, ça ne fonctionne pas“ estime Séverine Erhel, interrogée aux côtés de deux autres chercheurs par l'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) dans un article sur la mise en place du numérique à l’école.
L'élément déterminant est davantage le “contenu“ mis sur tablette, comme ajouter un commentaire oral à une image, afin de mieux répartir la charge en mémoire de travail et ainsi mieux comprendre et retenir l’information : “utiliser des méthodes de présentation des informations (par exemple insérer des animations) améliore la qualité de l’apprentissage. Sur ça, on a plus de 30 ans de recul.“
Solutionnisme technologique
De même, poursuit la maîtresse de conférence en psychologie cognitive (U. Rennes 2), “mettre des enfants sur tablette tout seuls n’apporte pas de bénéfice. C’est du solutionnisme technologique." En effet, “la place de l’enseignant demeure importante“ mais ceux-ci “n’ont pas toujours le niveau de formation adéquat pour la création de ces contenus, qui est très chronophage et mal valorisée (socialement et financièrement).“
Pour que les outils aient les effets escomptés, Grégoire Borst considère également qu'enseignants et élèves doivent être formés au numérique avant de les déployer largement. Selon le professeur de neurosciences cognitives de l’éducation (U. Paris Cité), les dispositifs numériques permettent notamment “une différenciation pédagogique et des parcours individualisés pour les élèves, qui peuvent être difficiles à mettre en place en classe par les enseignants“. Ils offrent aussi la possibilité “de faire un retour très rapide sur l’erreur, ce qui constitue une étape clé dans l’apprentissage“ ou encore “de penser des dispositifs d’évaluation formative en temps réel, qui vont servir à développer les compétences de l’élève".
Pascal Huguet évoque justement le projet de recherche e‑P3C, à savoir la conception de systèmes tutoriels intelligents (STI) développés avec des équipes enseignantes à partir de la plateforme Tactiléo (le site ici) “qui imitent un tuteur humain en s’adaptant au niveau de chaque apprenant“. Il s'agit de faire “varier autant que possible la présentation des contenus d’apprentissage et ainsi accroître la probabilité que ces derniers deviennent compréhensibles par tous les élèves, et le résultat après quatre années de recherche montreraient qu'avec ces STI, “les élèves de milieu défavorisé progressent au point de se hisser au même niveau de performance que leurs homologues de milieu favorisé du groupe contrôle (sans STI).“
Postures idéologiques
Une réussite qui fait dire au directeur de recherche au CNRS que “le débat sur le numérique ne doit pas être piloté par des postures idéologiques ‘pour‘ ou ‘contre‘ le numérique à l’école. L’enjeu se trouve non pas dans les technologies elles-mêmes mais dans les usages que l’on en fait. Or, pour découvrir et valider les bons usages, il est indispensable de se référer à la recherche et aux connaissances scientifiques accumulées depuis des décennies dans le domaine de ‘l’éducation digitale‘.“
Autre enjeu, “évaluer systématiquement si ces outils utilisés en classe produisent bien les apprentissages attendus chez les élèves“, plaide Grégoire Borst, alors que les banques d’outils numériques auxquelles les enseignants ont accès ne le sont pas forcément, et que cela induit “du temps en moins pour les interactions sociales entre les enseignants et les élèves qui constituent l’une des clés des apprentissages“. Il cite enfin les “données“ recueillies par ces dispositifs numériques qui “sont essentiellement exploitées à des fins commerciales par des développeurs de logiciels“, ce qui, de par leur sensibilité et leur caractère personnel, “soulève de nombreuses problématiques éthiques sur lesquelles il faut sensibiliser les élèves“.
L'article de l'INSERM ici