Les transformations qu'opère le passage à la majorité pour les jeunes incarcérés (INJEP)
Paru dans Scolaire le lundi 18 décembre 2023.
“Ici les éducateurs ils ne peuvent plus rien faire pour toi“, estime Salimata concernant l'arrêt de sa prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) après son passage à la vie adulte lors de son incarcération.
L'enquête “avoir 18 ans en prison“ menée par L'INJEP durant 49 jours dans 7 prisons entre 2021 et 2022 étudie les pratiques et comportements de ces jeunes au regard de leur âge et de son implication dans leurs différents parcours. La majorité a en effet pour conséquence de voir les mineurs transférés d'établissements pénitentiaires pour mineurs, de centres de détention (réservé aux femmes) ou de maisons d’arrêt comportant des quartiers spécifiques, au système de détention classique pour les incarcérés majeurs.
Des jeunes non préparés
Or, les jeunes détenus décrivent un changement de système pénitentiaire “apparemment peu ou pas préparé en amont par les professionnel·les de la PJJ ou de l’administration pénitentiaire“. Condamnés ou prévenus, le statut des jeunes détenus ainsi que des durées de détention très variables en seraient les raisons principales, l'accompagnement éducatif se révélant “d’autant plus faible que les peines sont courtes, ou que les jeunes sont susceptibles d’être réaffectés dans une autre prison“.
Dans les prisons, l'âge serait alors “une variable centrale“ selon l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, pour qui “les distinctions autrefois structurantes entre la minorité et la majorité se sont progressivement rapprochées depuis 2002“, notamment dans les maisons d'arrêt où la frontière entre quartiers ne serait “pas toujours si étanche“.
Saïan, 17 ans, incarcéré en établissement pour mineurs (EPM) : “En quartier mineurs, j’ai pas de planning. Tu sais, des fois, y avait deux, trois, même trois jours dans la semaine, c’était cellule. Tu vois. Et, on n’avait rien. Juste la promenade, tu vois. On n’avait pas sport le jour-là. C’était juste cellule. Que là, y a un vrai planning, tout ça. C’est chargé. Pendant les vacances, tu vois, tu coches des activités alors qu’en quartier mineurs, tu fais pas ça. C’est pour ça, je trouve, c’est plus éducatif. Du coup, je pense c’est mieux. C’est mieux“.
Dans les discours de jeunes incarcérés apparaît une distinction entre la maison d'arrêt, “vraie prison“ qui se rapprocherait le plus de celle des adultes, de l'EPM où “la présence d’adultes est plus prégnante et les régimes d’interdictions et de contrôle plus infantilisés“. En ressort un discours “parfois idéalisé“ sur les prisons pour majeurs où il est permis non seulement de fumer, de regarder la télé ou de cuisiner en cellule, mais aussi d’avoir des promenades à plusieurs centaines de personnes...
Vulnérabilités
En outre, la vie antérieure à la prison de ces jeunes (majoritairement d'origine sociale défavorisée, ndlr) semble marquée par “une forte autonomisation“ (financière, décohabitation, permis de conduire) par rapport à leurs parents en partie liée à “un arrêt précoce des études (avant la fin du collège ou au tout début du lycée ou de l’apprentissage)“, leur vécu se situant très loin des “normes actuelles“ d'allongement de la période de jeunesse.
Mais le passage en prison adulte “accentue pour l’ensemble des jeunes les situations de vulnérabilité“, et sa potentielle expérience préalable “creuse les inégalités entre jeunes détenus“, surtout qu'il “n’y a pas de protocole commun à tous les établissements qui serait formalisé à l’arrivée“. Seules des discussions informelles (avec des surveillants ou un membre de la famille) permettent de transmettre les connaissances du changement de droits à la majorité. Toutefois, “c’est le non-recours aux droits qui caractérise les jeunes détenus soit par méconnaissance, soit parce qu’ils ont peur qu’en faisant valoir leurs droits, l’institution se retourne contre eux et les sanctionne“.
D'ailleurs, malgré “des boîtes à lettres disposées dans les couloirs des prisons l’une pour le Défenseur des droits, l’autre pour la direction de la prison (ou le/la gradé·e), rares sont les jeunes qui font remonter des dysfonctionnements ou problèmes. Seuls les plus dotés en capitaux scolaires font des réclamations en interne dans les prisons, pour changer de cellule, avoir des parloirs, ou demander une formation ou un accès au travail. Majoritairement, c’est une certaine soumission ou un certain fatalisme des jeunes qui prévaut.“
Le rapport “Avoir 18 ans en prison“ ici