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Université d'automne du SNUIPP (1/3) : des enseignants qui viennent interroger leurs pratiques alors que le niveau des exigences monte

Paru dans Scolaire le lundi 23 octobre 2023.

“La majorité des élèves entrent à l'école sans avoir le décodeur“, expliquait vendredi 20 octobre Stéphane Bonnéry lors de la première conférence des 22èmes Universités d'Automne du SNUIPP-FSU à Port-Leucate.

Pour le chercheur en Sciences de l'éducation (U. Paris 8), qui interroge la professionnalité enseignante dans ce qu'elle permet de démocratiser la réussite scolaire, l'école se trouve en effet “désarmée“ pour atteindre ses objectifs en matière de formation des élèves, notamment les plus défavorisés. Temps pour enseigner à l'école primaire qui diminue, ajout de contenus et niveau plus complexe.. l'équation pour les professeurs des écoles est “beaucoup plus difficile“ et surtout depuis le début des années 2000, où a commencé à s'opérer une remise en cause du “compromis historique“ visant depuis la fin des années 50, dans le rapport de force continu entre démocratisation des savoirs et sélection des élites sociales, à permettre la poursuite des études et l'élévation des niveaux de formation.

Manuels scolaires

Désormais, constate-t-il, le dénivellement social des exigences qui se faisait en amont de l'entrée à l'école se fait à l'intérieur de celle-ci, et les écarts se creusent d'autant plus que “ce qu'on enseigne est plus difficile qu'autrefois“, la culture étant de plus en plus riche et complexe. Pour preuve, les manuels scolaires, dont il analyse une édition de 2009 en Histoire, contiennent plein d'implicites, d'objectifs cachés qui témoignent d'une élévation des exigences pour ceux qui sont préparés à les résoudre à la maison (creusement des écarts par le haut), tandis que s'opérerait une différenciation des objectifs avec un minimum commun assuré pour les autres (creusement des écarts par le bas), ce qui redonnerait corps aux anciens ordres scolaires.

“Si j'avais à le refaire maintenant, je le ferais différemment." Guislaine David, co-secrétaire générale de l'organisation syndicale FSU des enseignants de 1er degré, se souvient avoir enseigné avec le manuel en question, et pour elle, justement ces conférences permettent de dire “oui, moi j'ai fait ça, (..) à l'époque je ne me suis pas questionnée sur ce manuel, je me disais si il est édité ça permet aux élèves de réussir“.

Il s'agit ainsi pour elle de “se nourrir de toutes ces conférences“, ce qui est important “parce qu'en termes de formations initiale et continue c'est très pauvre ce qu'on a dans l'Education nationale, on n'est plus formés comme on pouvait l'être il y a plusieurs années déjà et on voit bien qu'on a besoin de cette formation, on ne peut pas faire sans, professeur des écoles c'est un métier qui s'apprend, mais tout au long de la carrière on a besoin de se questionner sur ce qu'on fait dans nos classes“.

Respiration

400 professeurs des écoles se réunissent ainsi chaque année pour échanger entre pairs, discuter pédagogie et avec les chercheurs “qui travaillent en lien avec les classes“, donc à des solutions qui sont ensuite applicables pour les professeurs qui peuvent dès lors modifier leur(s) pratique(s). Le but du SNUIPP-FSU étant, poursuit Guislaine David, de “transformer l'école, le métier pour faire réussir les élèves, démocratiser la réussite scolaire et essayer de combattre les inégalités, de les résoudre dans nos classes“. Les professeurs des écoles que ToutEduc a rencontré évoquent ce moment “de respiration“ comme la possibilité “d'avoir un apport connaissances“ et de réfléchir, de se “questionner sur la finalité de l'école en se positionnant en temps qu'acteur“.

Surtout, la co-secrétaire générale explique que les professeurs des écoles doivent être pour l'organisation syndicale les “concepteurs de leurs enseignements“, avec des pratiques conçues pour les élèves et “ne pas avoir juste cette fonction d'exécutant“, une volonté du ministère qu'elle appréhende concernant les savoirs fondamentaux : “Ils ont l'idée d'avoir des fiches de bonne pratique, ce qui marche dans une classe doit pouvoir marcher dans une autre. C'est faux, ça dépend du public que l'on a, d'une année sur l'autre on ne va pas reproduire la même chose, on va adapter notre enseignement de façon différente.“

L'autre problème tient au fait que ces guides prescriptifs, ou “outils pédagogiques“ sont élaborés par les chercheurs du Conseil scientifique de l'éducation nationale (CSEN), mis en place en 2018 par Jean-Michel Blanquer, qui base son travail sur les neurosciences, et prône des “méthodes très descendantes“ selon Guislaine David. Seulement, “ils ne vivent pas ce qui se passe dans la classe“, déplore-t-elle, “ils ne se rendent pas compte qu'un enfant peut arriver le matin en n'étant pas dans de bonnes conditions pour apprendre parce qu'il s'est passé beaucoup de choses chez lui (s'il dort à la rue, si ses parents sont au chômage..), il est travaillé par plein de choses et ne sera pas en capacité ce jour-là ou pendant plusieurs mois. On doit tenir compte de ce contexte-là“.

Caution scientifique

Samah Karaki, neuroscientifique auteure du livre “Le talent est une fiction“, explique à l'inverse que les neurosciences sont “une discipline née de l'avancée technologique“ qui rend compte de ce qui se passe dans un laboratoire, et que son intérêt réside dans la discussion avec les autres sciences cognitives pouvant offrir une réflexion, entre autres sur l'éducation.

Car si nous n'avons pas tous les mêmes compétences humaines, le fait d'évaluer l'intelligence, notamment chez les élèves, en valoriser un certain type, par exemple en hiérarchisant les diplômes, offre une “caution scientifique qui vient justifier l'ordre de la société“, de même que la question posée d'une (supposée) différenciation biologique permet de justifier qui accède aux positions de pouvoir. Pourtant, Samah Karaki fait valoir que l'intelligence n'est ni monolithique, ni “aussi héritable que la taille“. Seulement, ‘l'apprentissage est difficile car apprendre c'est aller contre soi‘, il faut motiver le cerveau, nourrir le goût de l'effort avec la curiosité.

En outre, l'intelligence n'est pas fixe, par exemple le QI n'est pas stable, il a augmenté avec le temps du fait qu'aujourd'hui les “enfants ont plus accès à un raisonnement abstrait“. Mieux, une année d'apprentissage à l'école permettrait une augmentation de 1 à 5 point.s de QI. D'ailleurs, poursuit-elle, les neurones n'ont pas besoin de plus de matière, mais de plus de liens. Malgré tout, à quoi cela sert-il de répondre vite alors que le monde est très complexe ? En effet, les tests de QI n'évaluent pas la flexibilité cognitive, c'est à dire la capacité à changer d'avis. Ils n'évaluent pas non plus la capacité à douter de soi, ni le processus, mais la personne car cette façon de juger l'intelligence reste une affaire historique et culturelle.

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