Mathématiques : les pays qui réussissent sont ceux où les réformes s'inscrivent dans le temps long (Revue internationale d'éducation - Sèvres)
Paru dans Scolaire le jeudi 19 octobre 2023.
"L'enseignement des mathématiques n'est pas neutre", il s'inscrit dans une histoire et répond à des objectifs politiques. C'est peut-être le principal enseignement du dossier du dernier numéro de la RIES (Revue internationale d'éducation - Sèvres) et l'exemple de l'Inde est particulièrement représentatif. "Après l'independance (...), les curriculums et les manuels d'Etat ont continué de définir quelles mathématiques étaient enseignées" avant que ne soient introduites depuis une vingtaine d'années des "mathématiques védiques" contribuant à la promotion du nationalisme hindou. Mais cela est aussi vrai en Grande Bretagne comme le montre la comparaison entre le système anglais et le système écossais.
En Angleterre dans les années 80, une "nouvelle gouvernance politique" affaiblit le rôle des professionnels et des experts : "Etablissements et enseignants sont sommés (...) de se conformer aux réglementations nationales", un système renforcé par des évaluations qui mettent en concurrence les établissements amenés à enseigner en fonction des tests et à revenir aux méthodes traditionnelles et à un certain formalisme tandis qu'en Ecosse, les mathématiques sont davantage en prise avec les réalités de la vie quotidienne et elles s'adressent aussi aux parents. Au Québec, dont les résultats sont "enviables", estiment les deux coordonnateurs du dossier, Jean-François Chesné (CNESCO) et Johan Yebbou (IGESR), et ils notent que les réformes y ont été "graduelles et bien acceptées". C'était d'ailleurs déjà ce qu'avait le conclu le CNESCO des résultats de PISA, ces résultats sont le fruit d'une continuité dans la mise en oeuvre des programmes, d'une gouvernance partagée, de la formation continue des enseignants et de l'implication des chercheurs dans cette formation.
Si les politiques diffèrent, la plupart des pays ont été confrontés à la crise des "maths modernes" et de leur formalisme inspiré par le groupe de mathématiciens français connu sous le nom de Nicolas Bourbaki. Il s'agissait alors de s'opposer à une approche très répétitive, où il fallait appliquer systématiquement des techniques de calcul apprises par coeur. Leur introduction trop brutale s'est soldée par un échec, "elles ont éloigné les élèves des mathématiques pratiques, utiles dans leur vie concrète de futurs adultes". On n'est pas pour autant totalement revenu en arrière et les différents systèmes scolaires ont cherché à donner du sens.
Alors que d'autres domaines, les probabilités et les statistiques prenaient une importance nouvelle, du fait de l'importance du numérique et de la gestion des données, s'est aussi développé une approche par compétences. Derrière la "résolution de problèmes", une expression "fourre-tout" qui désigne la capacité à reconnaître une situation et appliquer ce que l'on sait faire, les mathématiques pures peuvent pratiquement disparaître, comme dans certaines items du test PISA où il s'agit surtout de faire preuve de logique pour traiter des problèmes de la vie quotidienne. La difficulté est alors de ne pas perdre de vue l'acquisition d'automatismes, de garder un équilibre.
Elle est aussi de comprendre les raisons du succès des pays d'extrême orient dans les comparaisons internationales, indépendamment des biais liés à la constitution de l'échantillon d'élèves, alors que nous avons, en France notamment, un travail des didacticiens très développé depuis les années 60. Sans doute faut-il compter avec la morale confucéenne et la tradition des concours impériaux dont la réussite supposait de refaire sans cesse, jusqu'à réussir. Mais entre aussi en jeu, notamment en Chine, une évolution des mathématiques symbolisée par une formule, "normalize thinking" qui peut se traduire par une forme d'état d'esprit : apprendre à regarder le monde avec des outils mathématiques : "comprendre les situations, construire des modèles, trouver des solutions, faire des applications et susciter la réflexion et la généralisation."
En France, estiment trois universitaires, P. Arnoux, M. Artigue et N. Grapin, "une fréquence trop élevée de réformes ne permet pas d'atteindre des états d'équilibre, d'évaluer les effets, de mettre en place les régulations nécessaires".
Revue internationale d'éducation - Sèvres, L'enseignement des mathématiques, n° 93, 19€