Réforme du Code de justice la pénale des mineurs : “historique“ pour le ministère de la justice, “consternation“ des syndicats
Paru dans Justice le vendredi 13 octobre 2023.
Deux ans après la mise en place du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) destiné à réformer l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, un rapport d'évaluation a été remis au Parlement par le ministre de la Justice, ce vendredi 13 octobre.
L'occasion pour le ministère de faire valoir une “réforme historique“ qui a permis “de moderniser et d’améliorer le fonctionnement de la justice pénale des mineurs tout en réaffirmant ses grands principes".
Ont ainsi été détaillés à la presse tous les éléments de préparation (pilotage de groupes de travail, organisation de séminaires en ligne, travail d'anticipation et d'accompagnement juridique avec des fiches techniques..), de budget (+ 86 millions d'euros pour la PJJ en 2023, et + 200 M€ depuis 4 ans), mais aussi de mise en œuvre au service de cette entreprise d'ampleur.
A ce titre, les “stocks“ de dossiers qui concernaient l'ancienne procédure ont été réduits de 72 % dans les tribunaux pour enfants, afin de ne pas “nuire aux organisations et à la visibilité de la réponse pénale“ selon le ministère de la justice. Un effort matérialisé par la création d'audiences supplémentaires et un travail sur des alternatives aux poursuites.
Le ministère fait également valoir la constitution d'un dossier unique de personnalité regroupant l'ensemble des rapports éducatifs au sujet d'un mineur, désormais numérisé dans 83 % des juridictions. Il y a encore l'obligation pour tout mineur d'être assisté par un avocat, et notamment d'avoir un avocat référent, identique à chaque procédure, une mesure facilitée par la simplification de l'obtention de l'aide juridictionnelle (garantie).
Mais c'est surtout du coté des délais que le ministère souhaite regarder, évoquant des résultats en termes de réduction “assez probants“. Ainsi au 30 juin 2023, Il fait état d'un délai moyen de convocation à l’audience d’examen de culpabilité de 2,4 mois (versus 15 mois en 2019), et d'un délai moyen de 6,4 mois entre l’audience de culpabilité et l’audience de sanction, soit une diminution de 40 % depuis 2019. Et “cela a été salué par les éducateurs“, poursuit-il, du fait qu'il “était compliqué de commencer un travail éducatif si le mineur n'était pas déclaré coupable“, et que cela permet à ce dernier de “mieux se projeter“.
Ce satisfecit, plusieurs organisations syndicales ne le partagent pas. La semaine dernière, le SNPES-PJJ-FSU, la CGT-PJJ, l'UNSA-SPJJ, FO Justice PJJ et la CFDT Interco-Justice ont quitté la réunion organisée par la DPJJ où leur étaient présentée une synthèse du rapport, dénonçant “déni et aveuglement“ à la fois. Interrogée par ToutEduc, Jacqueline Francisco, éducatrice et secrétaire générale du SNPES-FSU, évoque sa “consternation“ face à un document qui serait loin de la réalité des acteurs de terrain, le CJPM ayant “modifié en profondeur“ la manière de travailler des professionnels de la PJJ.
Elle explique le “problème de temporalité“ que provoquent les réductions de délais, notamment de convocation à l’audience d’examen de la culpabilité. Si dans le texte est prévue une durée de 10 jours à 3 mois, en réalité les audiences “arrivent entre 3 semaines et un mois“ après les faits, ce qui rend “impossible“ le travail des éducateurs qui rencontrent l'enfant mis en cause “au mieux ne fois ou deux, mais au pire c'est zéro fois.. que peut-on réellement écrire dans la procédure dans ces cas-là ?“
Un temps encore trop court, dans une procédure accélérée, aux audiences multipliées, avec 6 mois à 9 mois de “mise à l'épreuve éducative“ pour construire un projet, mettre le pied à l'étrier des jeunes au sein d'une formation, essayer de travailler sur leur consommation de cannabis.. Les éducateurs, ajoute-t-elle, se sentent considérés comme des “conseillers d'insertion et de probation“, d'autant que le CJPM s'apparente à un “carcan procédural“ au sein duquel n'est plus demandé que “d'écrire des rapports“, ce qui donnerait à beaucoup de personnels l'envie de sortir du métier.
De son côté, le ministère met encore au crédit de la réforme la place plus importante accordée aux victimes, dont la présence s'est “accrue“ et qui se constituent plus souvent partie civile (36,5 % en 2022 contre 31% en 2019), tout comme une démarche plus rapide de demande de dommages et intérêts (indemnisation auparavant de 15 à 18 mois). Cela permet au mineur et à sa famille “d'avoir conscience plus rapidement de l'impact qu'ont pu avoir les faits sur les victimes“.
Le ministère met en avant l'augmentation des exécutions de peine et la diminution des jeunes en statut de détention provisoire “qui va de pair avec la diminution des délais“. Ainsi au 1er sept 2021, 27 % des mineurs incarcérés exécutaient une peine et 73 % étaient en détention provisoire, tandis qu'ils étaient respectivement 44 et 56 % dans ce cas au 1er août 2023. Le “quantum ferme moyen“ ayant augmenté, entre 2019 et 2022, passant de 5,2 mois à 6,2 mois.
Jacqueline Francisco, elle, dénonce une baisse en trompe-l’œil de la détention préventive, un discours “pour vider les prisons“ mais 700 mineurs y seraient encore contre 870 auparavant, avec beaucoup d'incarcérations courtes destinées à créer un choc avant leur présentation au juge, et des formes d'incarcération au domicile ou sous bracelet électronique qui faussent les statstiques. Elle évoque enfin les nombreux mineurs non accompagnés que l'on met en prison faute de “garantie de représentation“ (adresse), et souhaiterait qu'il existe, en plus de moyens humains et de structures adaptées, un code de l'enfance au civil et pénal.