Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Quel rapport les jeunes activistes pour le climat entretiennent-ils avec l'Ecole ? (INJEP)

Paru dans Scolaire le jeudi 21 septembre 2023.

Quel le rôle de l’école dans la transmission d’un répertoire politique ? Chargé d’études et de recherche à l'INJEP, Laurent Lardeux publie une analyse sociologique des jeunes activistes dans le(s)mouvement(s) climat, dans laquelle il consacre un passage à l'espace scolaire.

Si celui-ci est “peu étudié“ en tant qu’instance de socialisation politique, notamment du fait que la sphère familiale reste le premier lieu de transmission, il “intervient pourtant régulièrement dans les premiers pas vers l’engagement, soit parce qu’il a été le principal lieu de débat et d’échanges sur des sujets de société entre pairs ou avec des professeurs, soit, ce qui n’est pas contradictoire, parce qu’il constitue le lieu où ont été organisées les premières actions collectives, dans le cadre de marches, de grèves ou de blocages.“

Dès lors, la socialisation politique peut d'un côté “se construire en conformité avec le modèle de démocratie scolaire, lorsque les jeunes adoptent les rôles de représentation, d’élus ou de délégués dans leur établissement“ ou au contraire, comme chez Julia, 19 ans et membre de Youth for Climate, elle peut “s’élaborer en opposition“ à un modèle perçu par certains activistes comme “autoritaire“, “vertical“ et “inadapté à l’émancipation politique“.

Les éco-délégués, ou l'espace de “conformité“ à la démocratie scolaire

Le chercheur de l'institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire traite en premier lieu la question des écos-délégués, dont le rôle “est diversement apprécié parmi les activistes, en raison notamment des relations à géométrie variable entretenues avec le mouvement climat.“

Pour certains, ce sont des “intermédiaires fiables“ qui peuvent servir à “transmettre l’information“, et au-delà à “formaliser l’action et de la faire reconnaître comme légitime et répondant aux critères de recevabilité d’une manifestation autorisée“. Pour d’autres l’opinion à l’égard des éco-délégués est parfois “plus critique“, en raison de “l’absence d’uniformité“ et de “la variabilité des responsabilités pouvant être accordées à chacun d’eux d’un établissement à un autre.“ Thomas, d’Extinction Rebellion en région PACA pense que certains éco-délégués “n’ont aucun rôle et ne servent à rien“, quand d'autres comme Mathis considèrent même le dispositif “comme une orientation non critique de l’éducation dans laquelle les élèves seraient les réceptacles des prescriptions comportementalistes de l’institution scolaire“, qui ne traiterait dès lors pas de politique : “Le seul moment où on peut discuter d’écologie et de climat dans la classe, c’est pendant les élections des éco-délégués, mais même pendant ce moment, ce n'est pas un débat sur les actions, ce ne sont pas des discussions de fond, c’est sur les poubelles de recyclage, enfin, bon, tout ça“ (Thomas).

De quoi en revenir aux “critiques régulièrement formulées à l’égard de la démocratie scolaire, prenant modèle sur une démocratie représentative fonctionnant dans des cadres formels des instances de représentation qui tendent à évacuer de pratiques citoyennes ou des débats sur des sujets de société à dimension plus politique ou idéologique.“ Mécanisme d’autocensure et d’édulcoration du champ politique qui est “régulièrement un sujet de friction entre élèves et équipes éducatives“, la crainte d’une “sortie de rôle“ serait chez les enseignants à l'origine de l'absence d'espaces de débat. Ainsi Cléa, 17 ans, indique que seule la spécialité “histoire, sciences politiques, géopolitique“ abordent des questions sociétales et que “dans le programme général, ce n’est pas vraiment abordé et je trouve que ça traduit le fait que l’école n’ose pas trop se mouiller dans ces débats-là, parce que c’est clivant, certes, mais les élèves ne sont pas très sensibilisés.“

L'école, lieu d'expérimentation politique

En deuxième lieu, il est question de la manière d' “insuffler de nouvelles dynamiques d’engagement en relation et/ou en opposition avec les établissements scolaires“, ces derniers pouvant être aussi, “à leur corps défendant, être le lieu des premières pratiques politiques contestataires où s’expérimentent des actions et des mobilisations collectives.“

Sont pris pour exemple les grèves scolaires “organisées à la suite de l’appel de Greta Thunberg au cours de la rentrée 2018, dont l’action impliquait pour les élèves de sortir des établissements pour organiser des marches dans de nombreuses villes de France“. Celle-ci, explique Laurent Lardeux, “ont nécessairement engendré des mises en relation nouvelles, des coopérations discrètes ou des conflits plus affirmés entre activistes et équipes éducatives, non seulement autour du motif de la mobilisation, mais aussi plus largement sur les modalités de participation des jeunes citoyens.“

Pour le personnel des établissements (équipes de direction ou le corps enseignant), “ces actions ont impliqué de ‘sortir du bois‘ dans une cartographie particulière marquée par une triangulation fragile entre l’encouragement à la prise de parole citoyenne des jeunes dans l’espace public, le devoir de réserve qui incombe aux personnels éducatifs, et leur mission d’assurer la présence des élèves dans l’enceinte de l’établissement pendant le temps scolaire.“

Julia, 19 ans, de Youth for Climate, explique qu'avec “le proviseur (..), on en a discuté, il n’était pas très favorable. Je pense qu’il n’était pas forcément très engagé pour ces causes-là. Au départ, il n’était pas favorable non plus pour que je colle des affiches. Donc, j’ai dû un peu négocier avec lui et il ne voulait pas. Il y a des lycées à Aix qui ont autorisé la justification de l’absence par le motif ‘manifestation pour le climat‘ et notre lycée, malheureusement, ne l’a pas fait.“

Par ailleurs, les actions engagées par certains activistes au moment de ces grèves scolaires ont pu “suscit(er) des échanges nouveaux avec certains enseignants sur des questions de société ou certains principes de participation citoyenne.“ C'est ainsi que plusieurs activistes ont été sensibilisés aux enjeux politiques par des enseignants “pris dans un jeu d’équilibre fragile entre l’obligation de traiter des sujets abordant de manière plus ou moins directe les acteurs et débats du champ politique, et la volonté de rester dans un strict devoir de réserve“. En outre, il arrive que “des voies détournées“ puissent être empruntées, mais elles concernent “plus spécifiquement des enseignants qui font le choix de proposer un espace de parole à des représentants d’associations ou de collectifs.“

On retiendra au final qu'École et politique sont pour le chercheur à l'INJEP “davantage à penser en relation plutôt qu’en opposition, dans la mesure où le contexte scolaire produit moins une éviction de la politique qu’une manière particulière de l’aborder, devant rester en phase avec des contenus et des compétences explicitement présentés comme des savoirs scolaires“.

Le rapport ici

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →