Ecriture à l'école primaire : les enseignants sont souvent en difficulté, en partie par la faute de l'institution (Inspection générale)
Paru dans Scolaire le mardi 19 septembre 2023.
Alors que Pap Ndiaye puis Gabriel Attal ont inscrit l'écrit parmi leurs priorités, ce n'est pas le cas des enseignants, constatent l'Inspection générale dans le rapport qu'elle publie sur l'enseignement de la production d’écrits à l’école primaire : "Pour les enseignants l’écriture et la production d’écrits ne sont pas identifiées comme des priorités." Elle estime que c'est l'effet de la politique menée via les évaluations nationales : "tous les domaines faisant l’objet d’une évaluation du niveau de maîtrise des compétences des élèves sont particulièrement intégrés dans les programmations d’enseignement et dans les plans de formation. En revanche, il n’en est rien pour ce qui concerne l’écriture et la production d’écrits. Les compétences relatives à la fluidité de l’écriture, à la copie, à la rédaction devraient pouvoir être évaluées dans l’ensemble des protocoles nationaux."
Les deux autrices soulignent pourtant qu' "écrire et lire sont deux compétences interdépendantes qui s’enrichissent et se nourrissent mutuellement". Certes, à l'école maternelle, dans 83 % des séances auxquelles la mission a assisté, elle a considéré comme "satisfaisante" l'action de l'enseignant.e en ce qui concerne "l’évaluation positive de chaque élève", mais dans moins de 45 % des classes "l’étayage du geste d’écriture (tenue du crayon, position corporelle, utilisation du support de travail, contrôle du geste), "l’explicitation du lien entre le nom de la lettre / le son / la graphie" ou "le guidage des élèves dans l’utilisation des outils individuels ou collectifs".
Elle estime qu'en moyenne section, "apprendre à écrire aux élèves nécessite une organisation de classe spécifique, ce qui est trop rarement le cas (...). Apprendre à écrire à l’école maternelle s’envisage dans la double perspective, graphique et linguistique, de l’activité. Il s’agit d’apprendre progressivement à tracer des signes graphiques que sont les lettres. Pour y parvenir, l’élève doit pouvoir s’exercer quotidiennement et dans des situations variées, adaptées et différenciées."
Trop de recours à la dictée
Au CE2, un bon tiers des séances observées "permettent de construire les apprentissages attendus et font progresser les élèves", un quart d'entre elles sont "inégales", bien quelles aient été "préparées sérieusement, et près de 37 % "cumulent des faiblesses de tous ordres". Les auteurs dénoncent "une méconnaissance de la diversité des situations qui peuvent être proposées aux élèves pour leur apprendre à écrire", ce qui induit le "recours généralisé aux mêmes modalités d’apprentissage comme la dictée ou l’appui sur des schémas exclusivement narratifs (...). La mission a relevé plusieurs situations de pratiques ritualisées comme la dictée, mais d’autres activités formatrices, comme la rédaction d’écrits intermédiaires ou comme la copie à partir d’un modèle éloigné sont peu observées (...). Plus de 80% (des équipes pédagogiques) n’ont pas formalisé de programmations de cycle pour la production d’écrits, ni pour l’entraînement à la copie, ni pour le geste graphique (...) Dans une école, la seule pratique consensuelle serait la dictée (une dictée de mots par jour et une dictée de phrases par semaine)."
L'inspection générale fait également référence à la nécessité d'adopter une pédagogie explicite, mais dans un sens assez différent de celui donné à cette expression par le Conseil scientifique. Pour elle, "les élèves doivent savoir ce que l’enseignant attend d’eux et (...) les critères de réussite doivent être définis et partagés avec les élèves".
"Tout est très cloisonné"
S'adressant enfin aux IEN (inspecteurs de l’éducation nationale) et "aux autorités départementales et académiques", les autrices du rapport soulignent "le caractère souvent partiel, inexistant parfois" d'un travail collectif de réflexion "dans nombre d’équipes d’école rencontrées" et s'inquiètent "d’une logique d’enseignement de plus en plus mécanique" qui amène, par exemple, à réduire en maternelle la pratique de la dictée à l’adulte.
"Certains enseignants sont arc-boutés sur le respect des horaires hebdomadaires, même lorsque les objectifs d’une séance nécessiteraient qu’on s’en affranchisse. C’est ce saucissonnage qui est l’obstacle majeur pour entraîner ses élèves à rédiger (...). Tout est très cloisonné: étude de la langue, lecture fluence, lecture compréhension, lexique, production d’écrits. Les séances sont isolées les unes des autres; les apprentissages en orthographe, grammaire, conjugaison et lexique ne servent pas à écrire."
Une perte de tonicité ?
Elles notent également "une dégradation manifeste de la tenue du crayon ou du stylo (...), signe d’une attention moindre, ou trop irrégulière, accordée par certains enseignants à cet apprentissage. Il a aussi été fait mention d’une perte de tonicité dans les mains des enfants, qui, à la maison, jouent davantage avec le téléphone portable de leurs parents qu’avec des crayons de couleur."
En ce qui concerne la formation des enseignants, l'inspection générale met en cause les difficultés du remplacement. "Le format des constellations constitutif des plans français, mathématiques et maternelle, est apprécié des équipes pédagogiques et des formateurs (...). Toutefois, le non-remplacement des enseignants impliqués dans les constellations peut provoquer l’interruption des parcours de formation. Durant la visite de l’inspection générale, une équipe de circonscription a été informée par les services départementaux de l’obligation d’annuler toutes les formations engagées de décembre jusqu’à la mi-janvier, du fait de l’impossibilité de remplacer les enseignants (...).
Le rapport "L’enseignement de la production d’écrits : état des lieux et besoins" est présenté en trois parties, téléchargeables ici