Des professeurs, et non pas de simples enseignants (P. Meirieu, ouvrage)
Paru dans Scolaire le jeudi 14 septembre 2023.
"Il n'est pas certain que notre société veuille encore des professeurs aujourd'hui (...). En période de pénurie, finalement, des enseignants devraient suffire." Philippe Meirieu propose dans un court "libelle", une réflexion qui parcourt toute son oeuvre, mais qui trouve ici une forme d'aboutissement, sur ce qui fait la singularité de la relation pédagogique. Rappelons que dans les années 80, il était rapidement apparu comme une des figures de la pédagogie contre les anti-pédagogues ou "Républicains", notamment Alain Finkielkraut mais plus encore Jacques Muglioni, alors doyen de l'Inspection générale de philosophie. Celui-ci promouvait la figure du "maître", du professeur, fort de sa compétence disciplinaire, qu'il opposait à l'éducateur. P. Meirieu retrouve ici cette figure du "professeur", mais il le définit comme celui qui a "la mission (...) d'engager chacun et chacune dans une démarche de recherche", qui crée les conditions d' "une aspiration vers l'inconnu", d'où "émane le désir d'apprendre et de comprendre".
Car, écrit-il, l'école "reste une affaire de rencontres imprévisibles avec des sujets singuliers (élèves et professeurs, ndlr) aux comportements souvent inattendus" et les élèves ont moins besoin de "la perfection formelle d'un exposé" que d'un professeur qui "revisite avec eux son propre savoir, s'efforce de trouver le mot juste et le bon exemple, hésite et se reprend (...). Ils sont invités alors à partager l'aventure fondatrice d'une pensée en quête de vérité à mille lieues des certitudes statistiques et anonymes de ChatGPT."
Mais "leur ministère veut faire (des professeurs) des exécutants dociles d'injonctions technocratiques (...). C'est exactement ce que promeut l'idéologie des 'bonnes pratiques' qui laissent entendre que l'on aurait enfin trouvé les recettes miracles" qui leur permettraient d' "apprendre immanquablement à leurs élèves à lire et à compter, mais aussi à fixer leur attention, à mémoriser ou à s'organiser".
L'auteur dénonce l'usage de l'argument de l'efficacité des apprentissages, fallacieux et porteur d'un modèle qui réduit le professeur au rôle d'enseignant, d'exécutant, les élèves étant eux-mêmes considérés comme "des exécutants plus ou moins dociles de consignes normalisées, appelés à ne maîtriser que des connaissances facilement identifiables et reproductibles". Pour le dire autrement, une école qui s'adapterait, grâce aux nouveaux outils informatiques issus des neurosciences, à chaque élève, mais pour lui permettre d'acquérir des savoirs aseptisés, les mêmes pour tous dans tous les pays, menacerait la démocratie. Car "être professeur, c'est faire émerger dans sa classe, au quotidien, les principes qui fondent la possibilité d'une démocratie : le dialogue serein plutôt que la violence physique ou l'injonction agressive, le raisonnement plutôt que l'emprise (...). A l'école, celui qui a raison n'est jamais celui qui crie le plus fort (...) et c'est parce qu'il est garant de cette loi fondatrice que le professeur est dépositaire, dans sa classe, d'une autorité légitime."
"Qui veut encore ds professeurs ?" Philippe Meirieu, Seuil Libelle, 60 pages, 4,90€