Formation continue des enseignants : la Cour des comptes préconise la rémunération des formations hors temps de la classe
Paru dans Scolaire le lundi 11 septembre 2023.
Créer une "agrégation de didactique et de pédagogie", "redéfinir les obligations de service des enseignants" pour y inclure la formation continue en dehors des heures de classe et consacrer quelques centaines de milliers d'euros à l'augmentation de leur rémunération, ces deux recommandations sont issues des "observations" sur "la formation continue des enseignants de l'enseignement public" que la Cour des comptes vient de publier.
Elle estime que le ministère a le choix, "conserver le système actuel basé sur le remplacement, système coûteux si tous les remplacements étaient réalisés et complexe à mettre en place", "placer les formations en présentiel sur le temps des vacances scolaires en prévoyant la rémunération d’indemnités journalières aux professeurs (...) ou bien redéfinir globalement les obligations de service des enseignants. (...) Les moyens de remplacement ainsi économisés pourraient être mis à profit pour mieux rémunérer les professeurs (...) Le coût annuel du remplacement pour 5 jours de formation (...) peut être estimé à 538,1 M€." Mais "dans tous les cas, des moyens supplémentaires sont à prévoir."
La Cour constate que, si le ministère identifie bien "les besoins de formation dus à la mise en œuvre des réformes" ou liés à "de grands plans nationaux comme la laïcité", il n'en va pas de même des besoins exprimés par les professeurs ou les équipes locales. Or on sait que la formation n'est efficace que si elle répond à un besoin identifié : "une des raisons invoquées par les enseignants pour expliquer le faible nombre de formations suivies est le sentiment de perdre leur temps dans des formations qui ne correspondent pas à leurs besoins". De plus, leur qualité "ne semble pas toujours satisfaisante." Les magistrats préconisent donc de déléguer "des moyens aux échelons infra-académiques (bassins d’éducation, établissements, circonscriptions)".
Elle dresse la liste d'un certain nombre de difficultés auxquelles se heurte l'organisation des formations. "Chaque année, pendant les mois d’hiver, les brigades de remplacement sont très sollicitées pour le remplacement des professeurs en arrêt maladie et les formations sont alors annulées." C'est notamment le cas pour le déploiement des plans "mathématiques" et "français" dans le premier degré : "26 % des professeurs des écoles ont été formés en 2020-2021 alors que la cible était de 33 %."
Dans le second degré, "hors formation statutaire, adaptation immédiate au poste de travail et préparation aux examens et concours, les enseignants ont suivi en moyenne près d’une journée de formation en 2021 (2,4 en 2018-2019 avant la crise sanitaire) (...). Des professeurs refusent chaque année de s’inscrire à des stages de formation continue pour ne pas supprimer leurs cours (...). Lorsqu’ils sont inscrits à une formation, certains enseignants ne participent pas au stage, sans que cela n’ait de conséquence particulière en raison de l’absence de décompte du temps de formation dans le 2nd degré. Leur chef d’établissement n’est en outre pas directement informé de ces absences en stage." Quant aux formations inter degrés ou inter catégorielles, "elles restent limitées" et quand elles sont organisées, les personnels font état "de difficultés pour se faire rembourser leurs frais de déplacements".
En REP+, les professeurs des écoles disent apprécier les formations, celles-ci "sont définies et animées en concertation avec les CPC" (conseillers pédagogiques de circonscription), mais "pour les collèges, le bilan est moins positif. Les formations interdegrés qui devaient fonder le travail des réseaux peinent à se mettre en place (...). Des principaux de collège REP+, manifestement découragés de devoir convaincre chaque année des enseignants de participer aux formations en dehors des heures de cours, finissent par ne plus programmer les trois jours annuels."
La Cour s'interroge aussi sur le statut et la rémunération des formateurs de la formation continue. "Les certifications de formateur et le master d’ingénierie de formation sont de plus en plus exigés par les rectorats pour exercer une activité de formation continue", mais "de nombreux formateurs du 2nd degré refusent de passer le CAFFA (certificat d'aptitude aux fonctions de formateur académique)". Ces études "nécessitent un investissement qu’ils jugent trop important", d'autant que, dans certaines académies, ils doivent payer leurs frais d’inscription au master "pratiques et ingénierie de la formation".
Plus globalement, les formateurs "regrettent la moindre valorisation" de leur fonction. Les CPC constatent que leur rémunération est moindre "que celle d’un enseignant en école qui complète son salaire par la surveillance des études". Un professeur du second degré admis au concours de l’agrégation interne "voit ses obligations
de service baisser de 3 heures par semaine et sa rémunération augmenter (...). Cela rend l’agrégation interne bien plus attractive que le CAFFA."
Les "sages de la rue Cambon" constatent encore que seuls sept rectorats sur trente ont indiqué que l'INSPE de l'académie intervenaient dans la formation continue des enseignants. Ils estiment par ailleurs que les subventions versées à des formateurs extérieurs comme la Ligue de l'enseignement sont surtout utilisées "pour des interventions directes auprès des élèves alors qu’elles pourraient être réalisées par les personnels de l’éducation nationale eux-mêmes s’ils étaient formés en amont par les associations".
Théoriquement, les moyens existent, chaque année, le CPF (compte personnel de formation) de chaque enseignant est crédité de 25 heures, soit 5 semaines de formation tous les 6 ans. "Ils peuvent aussi bénéficier d’une prise en charge des frais de formation (...). Le coût annuel se situerait entre environ 8,2 M€ si tous les enseignants utilisaient leurs droits en dehors du temps scolaire (...) et 792 M€ pour 25 heures de formation par enseignant sur le temps scolaire avec remplacement (4,96 Md€ si tous les enseignants utilisaient l’ensemble de leurs 150 heures acquises avec remplacement). Compte tenu du risque financier, le ministère a encore peu communiqué sur les droits des professeurs au titre du CPF (...)."
Mais "l’ensemble des coûts relatifs à la formation continue (...) ne sont pas clairement budgétisés", ce qui ne permet pas "de connaître précisément les moyens réellement engagés" et s'ils sont effectivement consacrés à la formation. Ils "apparaissent comme un réservoir dans lequel on puise chaque année pour le fonctionnement du service, ce qui confirme la place de second rang accordée à la formation des professeurs", commente la Cour des comptes qui ajoute que "le coût minimal de la formation continue en 2021 peut être estimé à près de 1,11 Md€".
Au total, les sages estiment que, "en dépit de certaines avancées, comme les formations en constellations du 1er degré, la qualité des formations reste globalement insuffisante"; ils considèrent que "les formations locales pourraient constituer l’essentiel des formations des enseignants". Il faudrait donc "déléguer, au niveau du bassin d’éducation, voire des établissements et des circonscriptions, un budget annuel", mais aussi "annualiser les heures de service des professeurs en intégrant un décompte des heures de travail collectif". Les CDI pourraient "devenir un lieu de travail collaboratif des enseignants" et les professeurs documentalistes accompagner les professeurs de l’établissement. Par ailleurs, "la qualité des parcours de formation en ligne reste à conforter" et Réseau Canopé, "pour le moment davantage chargé des formations sur les usages du numérique, devra étendre ses compétences" à d'autres domaines. Les INSPE et l'IFE "doivent renforcer à la fois la recherche en éducation et leur participation à la formation continue"...
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