Que reste-t-il des années Blanquer ? L'analyse du recteur D. Bloch, 5ème chapitre : La conduite du système éducatif
Paru dans Scolaire, Orientation le dimanche 20 août 2023.
ToutEduc publie bien volontiers le 5ème et dernier volet du bilan des années Blanquer dressé par le recteur Daniel Bloch. Les opinions exprimées n'engagent selon la formule consacrée, que leur auteur.
On ne peut piloter efficacement le "système éducatif" sans disposer d’une évaluation "indépendante" des politiques précédemment conduites, sans connaître l'état des lieux. Les récentes discussions – tendues - ayant porté sur la réforme de la voie professionnelle ont permis de convaincre ceux qui en auraient douté, que leur absence rend le dialogue difficile. Il en est de même – autre exemple -, pour une autre question d’actualité, celle des heures d’enseignement dues aux élèves, aujourd’hui encore non assurées. On ajoutera que les questions relatives à l’Éducation nationale sont trop importantes pour ne donner lieu qu’à un traitement interne. Ses partenaires du monde économique comme des collectivités territoriales doivent y être associés. Et les grandes orientations débattues à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Qu’en a -t-il été tout au long des années Blanquer ?
Conflits d’intérêts.
La Cour des Comptes avait demandé, en décembre 2017, que les fonctions d’évaluation et de conduite des actions menées par l’Éducation nationale soient davantage séparées (ici). Est-il raisonnable de demander à l’Inspection générale de dresser l’état des lieux d’une réforme qu’elle a elle-même inspirée et conduite ? La Cour demandait, également, que soient dissociées, au sein de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), les fonctions statistiques et les études évaluatives et encadré le rôle d’évaluateur de la DGESCO mais aussi de l’Inspection générale, qui de fait sont toutes deux à la fois actrices opérationnelles du système éducatif et opératrices majeures de son évaluation. Il n’en a rien été. Un Conseil d’évaluation de l’École a bien été créé en 2019. Mais il est aujourd’hui loin d’être opérationnel. Et toujours avec des acteurs essentiels du pilotage et de l’évaluation du "système" éducatif qui glissent d’une fonction à une autre. Avec les risques de conflits d’intérêt qui en résultent.
Un exemple avec une question d’actualité : pas de classe sans enseignant
Parmi les nombreuses questions d’importance stratégiques qui se sont posées depuis de longues années aux ministres qui se sont succédé rue de Grenelle, sans jamais qu’une solution concrète ait pu être apportée, figure celle des heures d’enseignement non dispensées aux élèves. Elles se situent au niveau de 10% des heures qui auraient dû leur être consacrées. Le coût : plusieurs milliards d’euros. En 1997, Claude Allègre et Ségolène Royal avaient ainsi mis en place un groupe de travail chargé de mesurer, dans l’année, le nombre effectif d’heures non dispensées puis de proposer des mesures afin que celle-ci soit significativement réduit. Ce groupe de travail avait tout autant pour objectif de calmer les esprits, après des déclarations ministérielles fracassantes sur l’ "absentéisme" des enseignants, que de trouver des solutions satisfaisantes au problème de leur remplacement. "Il y a beaucoup d'absentéisme dans l'Éducation nationale, il faut mettre fin à cela. 12 % d'absentéisme, c'est beaucoup trop. Il y a des gens qui considèrent qu'ils ont droit à des congés maladie, pas mo." M. Allègre avait déclenché un beau tollé syndical, relayé par les organisations de parents d'élèves. Le nombre effectif de journées est en effet distinct du nombre de jours attendus, et cela pour de multiples raisons : enseignants absents pour maladie, afin de participer à des actions de formation continue, convoqués pour participer à des jurys d’examens, ou encore ne pouvant enseigner, les locaux d’enseignement étant occupés pour la tenue d’examens. Ce groupe de travail avait noté que, depuis l’entrée en classe maternelle jusqu’au baccalauréat, l’équivalent d’une année entière de scolarisation n’était pas assuré (ici). Les organisations professionnelles, tout en approuvant les propositions émises, qui disculpaient les enseignants, mirent immédiatement en avant le fait que leur mise en œuvre demandait des décisions. Elles ne vinrent pas. Plusieurs ministres se sont efforcés plus tard, mais sans succès, de reprendre ce dossier, rendu plus lourd encore par Jean-Michel Blanquer, avec l’organisation dès le mois de mars des épreuves de spécialités, à seule fin de permettre une prise en compte des notes attribuées dans Parcoursup, le dispositif d’affectation des bacheliers dans l’enseignement supérieur. Regagner ce temps perdu pour les élèves, c’est la direction dans laquelle s’était engagé son successeur. Selon deux axes : la remise en cause du calendrier du baccalauréat, mais aussi avec diverses mesures s’appuyant principalement sur les moyens de remplacement dégagés dans le cadre du Pacte enseignant.
L’École à distance de ses partenaires économiques et sociaux.
La réforme initiée en 1985 par Jean-Pierre Chevènement, réforme ayant notamment introduit le baccalauréat professionnel – peut-être la plus importante réforme du "système «éducatif" conduite à son terme au cours des quarante dernières années – a pris sa source au sein d’une instance de haut-niveau que le ministre avait lui-même mis en place : la Mission Éducation – Entreprises. Elle lui était directement rattachée. Elle lui proposa non seulement d’introduire un nouveau baccalauréat, mais également d’adopter des objectifs ambitieux pour le système éducatif de l’an 2000, comme d’atteindre "80 % de la classe d’âge au niveau du baccalauréat" ou de doubler à la même échéance le nombre de techniciens et d’ingénieurs diplômés chaque année. Cette Mission, tout au long de ses six mois d’existence, avait engagé, en toute indépendance, des discussions, à haut niveau, avec les principaux partenaires économiques et sociaux de l’Éducation nationale. Ces travaux ont ainsi marqué la loi de programmation budgétaire promulguée en décembre 1985. Comment imaginer, d’ailleurs, qu’une grande réforme de l’Éducation nationale ne soit pas mise en débat à l’Assemblée nationale ou au Sénat ? Comme le rappelait Frédéric Gaussen dans Le Monde du 22 juin 1985 : "Le projet de loi a pu être conduit aussi rapidement grâce à l’important travail de réflexion mené en même temps par la 'mission Bloch' sur les relations entre l’école et l’entreprise, qui a permis aux représentants de l’enseignement professionnel et des milieux professionnels d’étudier l’ensemble des problèmes posés."
Ce dispositif de liaison à haut niveau entre l’Éducation nationale et ses principaux partenaires, économiques, sociaux et territoriaux a longtemps survécu aux alternances politiques. À la Mission nationale éducation‑entreprises succédera, sans discontinuité, en 1986, le Haut Comité éducation‑économie, lui‑même remplacé en 1997 par le Haut-Comité de la formation professionnelle auquel se substitue, en l’an 2000, et pour un temps, le Haut Comité éducation‑économie, puis enfin, en 2013, le Conseil national éducation‑économie (ici). Pour ne donner qu’un exemple, ce dernier conseil comportait des représentants des employeurs, des grandes organisations syndicales au niveau confédéral, mais aussi des syndicats de l’Éducation nationale elle-même, des chefs d’entreprise et des présidents de conseil régional ainsi que les directeurs des grandes administrations de l’État concernés. Au plus haut niveau possible. À titre d’exemple, pour les cinq chefs d’entreprises, nommés à titre individuels, ce furent Jean-Louis Beffa, président d'honneur et administrateur de Saint-Gobain, Philippe Berna, président du Comité Richelieu, Xavier Huillard, président-directeur général de Vinci, Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, Muriel Pénicaud, alors directrice générale des ressources humaines du groupe Danone. Avec comme premier président Jean-Cyril Spinetta, ancien président-directeur général d'Air France-KLM. Le bon fonctionnement de ce type d’instance – indépendante par nature -, exige une proximité forte avec le ministre en charge de l’Éducation nationale et son soutien de tous les jours, faute de quoi l’administration centrale les laisse dépérir car empiétant sur les compétences qu’elle estime, très légitimement, détenir. Ce Conseil, créé en 2013, sera dissous en 2019. Sans successeur. La relation École – Entreprises ne peut se limiter à quelques grands-messes. Et des débats dans ce type d’instance, sur la réforme de la voie professionnelle, sur le recrutement des enseignants, sur l’équilibre et l’identité des divers baccalauréats - généraux, technologiques et professionnels-, sur les niveaux de compétence attendus à chaque niveau de diplôme, sur leur durée de préparation, ou encore sur la complémentarité à construire entre les voies scolaires et par apprentissage auraient certainement été bien utiles.