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"Emplois gagés" dans l'enseignement agricole : le ministère devra réagir à l'annulation de sa note de service par le Conseil d'Etat (A. Legrand)

Paru dans Scolaire le jeudi 29 juin 2023.

Divers agents du Ministère de l’Agriculture sont affectés sur des postes dit "emplois gagés" au sein des établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricoles (EPLEFPA). Le financement de ces emplois est assuré par les ressources propres de l’établissement où ils sont implantés. Dans leur grande majorité, ces personnels ont été initialement recrutés par voie contractuelle, avant d’être titularisés comme fonctionnaires dans le cadre de dispositions législatives, telles que la loi Sapin de 2001, visant à "déprécariser" ces agents. Ces emplois gagés soulèvent une certaine défiance de plusieurs organisations syndicales qui leur reprochent souvent de ne pas être de vrais emplois, voire de n’avoir pas de réelle existence juridique et de ne pas toujours garantir à leurs titulaires des droits égaux à ceux des fonctionnaires ordinaires.

La question de la gestion des personnels sur emplois gagés a ressurgi récemment avec la mise en place de la déclaration sociale nominative (DSN) ; elle a fait l’objet d’une note de service du ministère de l’Agriculture du 23 novembre 2020 abrogeant celle du 06 avril 2004 et présentant les nouvelles procédures à engager pour assurer la production de la paie des emplois gagés et la gestion administrative des personnels titulaires qui y sont affectés.

La mise en place de le déclaration sociale nominative (DSN), généralisée en 2019, a substitué dans un but de simplification cette déclaration unique, mensuelle et dématérialisée aux multiples déclarations sociales antérieurement demandées au titre de l’emploi des salariés : elle est prévue par l’article L. 133-5-3 du code de la sécurité sociale : "Tout employeur de personnel salarié ou assimilé adresse à un organisme désigné par décret une déclaration sociale nominative établissant pour chacun des salariés ou assimilés le lieu d'activité et les caractéristiques de l'emploi et du contrat de travail, les montants des rémunérations, des cotisations et contributions sociales et la durée de travail retenus ou établis pour la paie de chaque mois, les dates de début et de fin de contrat, de suspension et de reprise du contrat de travail intervenant au cours de ce mois, ainsi que, le cas échéant, une régularisation au titre des données inexactes ou incomplètes transmises au cours des mois précédents. Les données de cette déclaration servent au recouvrement des cotisations, des contributions sociales et de certaines impositions, à la vérification de leur montant, à l'ouverture et au calcul des droits des salariés en matière d'assurances sociales, de formation et de prévention des effets de l'exposition à certains facteurs de risques professionnels, à la détermination du taux de certaines cotisations, au versement de certains revenus de remplacement ainsi qu'à l'accomplissement par les administrations et organismes destinataires de leurs missions".

Selon la note de service, une "non-application de la DSN entraînerait pour les agents concernés des anomalies dans leurs dossiers individuels auprès des organismes sociaux, lesquelles seraient préjudiciables au calcul de leurs droits sociaux, de leur retraite et de leur impôt sur le revenu ; mais la mise en place de la DSN imposait une modification de la gestion des emplois gagés au MAA. Tout en soulignant que cette mise en place ne provoquait aucun impact sur la situation des agents concernés, "qu’il s’agisse de la possibilité d’être maintenu sur l’affectation actuelle ou des possibilités d’évolution ou de la rémunération", la note de service reconnaît qu’elle entraîne des conséquences sur la situation des agents placés sur des emplois gagés : avec la mise en place de la DSN, la paie agents placés sous emplois gagés doit désormais être assurée par les établissements concernés et ne peut plus l’être par l’administration des finances publiques agissant pour le compte de ceux-ci.

Il en résulte que les agents sur emplois gagés seront placés à compter du 1er janvier 2021 en position normale d’activité (PNA) au sein des ELEFPA, dans les conditions prévues par le décret du 18 avril 2008. La PNA consiste à affecter un fonctionnaire sur un poste dont les fonctions répondent aux missions de son corps sur un emploi relevant d’une administration ou d’un établissement public différent de l’administration dont il relève. Selon le code de la fonction publique, l’agent affecté au sein d’un établissement public ne peut occuper l’emploi sur lequel il est nommé que pour une durée limitée, fixée à trois ans par le décret de 2008, échéance au terme de laquelle il peut, s’il le souhaite, être renouvelé aussi longtemps que les besoins de l’établissement le justifient C’est cette conséquence, nouvelle pour les personnels des établissements agricoles nommés sur emploi gagé, que le syndicat requérant contestait et le Conseil d’Etat va lui donner raison

Dans un arrêt rendu le 2 mars 2005 sur une requête du SNETAP , le Conseil d’Etat avait rappelé que les agents recrutés par voie contractuelle, puis titularisés en tant que fonctionnaires, tout en occupant un emploi gagé, tirent leurs droits du statut du corps auquel ils appartiennent et que les EPLEFPA (les lycées agricoles, ndlr), s’ils ont la charge de leur rémunération, ne sont pas leurs employeurs, cette qualité restant réservée à l’Etat. Ilmaintient cette position dans le présent arrêt : "les personnels concernés par l'application de la note litigieuse sont des agents recrutés à l'origine en tant que contractuels par les établissements publics d'enseignement agricole qui ont par la suite été titularisés en tant que fonctionnaires de l'Etat, tout en occupant des emplois dits ‘gagés’ car financés sur les ressources propres de ces établissements … Ces personnels relèvent de corps de fonctionnaires dont les membres ont vocation, en application des statuts particuliers qui leur sont applicables, à servir dans les établissements d'enseignement agricole publics relevant du ministre chargé de l'agriculture. Il en va ainsi, notamment, des professeurs de lycée professionnel agricole, en vertu de l'article 1er du décret du 24 janvier 1990 relatif au statut particulier des membres de ce corps, des professeurs certifiés de l'enseignement agricole, en vertu de l'article 3 du décret du 3 août 1992 relatif au statut particulier des membres de ce corps, des conseillers principaux d'éducation des établissements d'enseignement agricole en vertu de l'article 3 du décret du 24 janvier 1990 relatif au statut particulier des membres de ce corps, et des personnels techniques de formation et de recherche du ministère de l'agriculture et de la pêche, en vertu de l'article 3 du décret du 6 avril 1995 fixant les dispositions statutaires applicables aux membres de ce corps".

Or, à plusieurs reprises, la note de service contestée parle "d’établissement employeur", ce qui constitue une remise en cause de la jurisprudence précitée. En outre, comme cela a été déjà souligné, la nomination ne s’applique que pour une durée limitée, ce qui n’est pas compatible avec la qualité de fonctionnaire de l’Etat. Le présent arrêt annule donc le § II de la note de service, "en tant qu’il prévoit  que les agents concernés sont placés à compter du 1er janvier 2021 en position normale d’activité au sein des établissements d’enseignement agricole", dans la mesure où il estime que ces agents "ne peuvent être regardés comme affectés dans un établissement public en dehors du périmètre d'affectation défini par le statut particulier dont ils relèvent". .En décidant de cette manière, le ministère de l’agriculture a méconnu en particulier le sens et la portée des dispositions statutaires applicables à ces agents.

Le ministère n’a pas encore réagi à cet arrêt. Mais, en attendant, sa circulaire est bel et bien annulée et il faudra bien qu’il le fasse.

André Legrand

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