Aide sociale à l'enfance : le “parcours du combattant“ pour la mise en œuvre effective des droits fondamentaux (COJ)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mercredi 28 juin 2023.
Des acteurs de la justice, de l'éducation, ou encore de l'insertion sociale et professionnelle alertent les pouvoirs publics “sur le risque majeur qu’implique pour notre société le décrochage des plus fragiles, ces enfants exposés très tôt à l’adversité, et accueillis dans les institutions publiques et privées de Protection de l’enfance.“
Une mobilisation qui passe par la voix du conseil d’orientation de la jeunesse (COJ) et du conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) à travers un rapport publié le 23 juin. Les auteurs y constatent que le nombre de jeunes majeurs bénéficiant d’une mesure de la protection de l’enfance, plus de 35 000 en 2023, est en augmentation ces dernières années (+9 % entre 2018 et 2019 et +30 % entre 2019 et 2020), mais que la mise en œuvre effective de leurs droits fondamentaux reste malgré tout pour eux “un parcours du combattant“.
Vulnérabilité et parcours
C'est un jeune qui exprime son “sentiment d’abandon, livré à soi-même, on doit se débrouiller tout seul, on manque d’informations“, quand un autre estime être “poussé à tout prix vers la sortie“.
Pour ces jeunes sortis de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), l'inquiétude porte notamment sur les “difficultés d’accès aux études supérieures, au logement autonome, mais aussi aux soins“. Par exemple, les vulnérabilités qu'ils rencontrent dans leur parcours commencent par des difficultés qui leurs sont spécifiques, comme un faible capital économique, social et culturel et pour certains, le manque de soutien familial, des carences affectives voire des souffrances physiques et/ou psychologiques. De quoi entraîner “des retards dans leur parcours scolaire“ ou “affecter leur capacité à obtenir un diplôme et de fait à trouver un emploi stable et rémunérateur“. D'ailleurs, précise le rapport, “beaucoup ont connu une scolarité morcelée et des situations de décrochage scolaire“, seulement 41 % de ces jeunes n’ayant jamais redoublé et 39 % ayant redoublé avant l’entrée au collège.
De plus, les jeunes pris en charge par l’ASE “sont majoritairement orientés vers des études courtes“, constate le document, et “témoignent d’une orientation souvent subie, d’un manque de soutien familial et institutionnel". Ils parlent “du sentiment d’abandon qu’ils ont éprouvé à leur sortie des dispositifs de protection de l’enfance“ et disent “les risques de marginalisation, de rupture, et la grande violence de cette période si difficile pour eux".
La loi “Taquet“ (voir ToutEduc ici), un an après son application, s'avère quant à elle “peu efficiente, notamment sur l’articulation entre les compétences relevant de l’Etat et celles des Départements“ tandis que “les inégalités territoriales demeurent“.
Inégalités territoriales
En effet, même si le taux de prise en charge des jeunes majeurs a augmenté dans la plupart des départements entre 2010 et 2020, “il apparaît tout de même une forte hétérogénéité de la mise en œuvre des politiques publiques en matière d’accompagnements jeunes majeurs“. Ainsi “certains départements, volontaristes prennent exclusivement en charge les jeunes déjà suivis par l’ASE durant leur minorité, d’autres destinent leurs aides à l’ensemble des jeunes en difficulté sociale et familiale“. De même, “certains prennent en charge les jeunes issus de la protection judiciaire, d’autres s’y refusent.“ C'est pourquoi l’interprétation du texte du décret du 5 août 2022 par les présidents des conseils départementaux “conduit à maintenir des iniquités de traitement“, et les exécutifs départementaux “apprécient seuls la nécessité ou non d’octroyer un accompagnement jeunes majeurs, ce qui entraîne une multiplicité des pratiques départementales en direction des jeunes majeurs, tout en faisant persister des inégalités d’accès aux droits, et de fait à l’autonomie.“
En outre, sur certains territoires, “des jeunes bénéficiant d’un CEJ (contrat d'engagement jeune) se voient refuser un accompagnement jeune majeur car “pour bénéficier d’un CEJ, les jeunes doivent remplir les conditions d’accès à ce dispositif, “or, pour certains jeunes, rentrer dans une logique d’insertion active est difficile“, sachant que “l’assiduité demandée et l’engagement dans un accompagnement de 15h minimum par semaine pourraient être difficiles pour les jeunes concernés.“ A l'inverse pour les jeunes sortant de l’ASE, qui poursuivent leurs études, le CEJ, comprenant, en tant que dispositif d’insertion professionnelle, un accompagnement intensif de 15 à 20h d’activités hebdomadaires “ne peut leur être proposé“ et donc “très peu de jeunes majeurs protégés bénéficient d’un CEJ.“
Pilotage et articulation défaillants
Par ailleurs, continue le rapport, ‘les recherches internationales de l’Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) convergent sur les difficultés liées à la diversité des acteurs publics impliqués, ainsi qu’à la dichotomie entre orientations nationales et actions locales. D’un côté, il existe des professionnels qui privilégient la création d’un lien de confiance durable. De l’autre, des logiques de services (qui) oscillent entre ‘protection‘ et ‘insertion‘, et pour lesquelles il faudrait trouver un équilibre.“ De ce fait, “la question du pilotage de ces politiques publiques, de la visibilité de l’offre et de sa diversification se pose si l’on veut améliorer l’insertion sociale et professionnelle des jeunes majeurs.“
Au travers de ce texte, est ainsi souhaitée une “clarification des rôles dans le cadre de la protection des jeunes majeurs protégés“, car si les lois ont précisé les responsabilités des départements dans la préparation à l’autonomie et l’organisation de l’accompagnement des jeunes sortant des dispositifs de protection de l’enfance, “le flou sur les coordinations partenariales après la majorité et le constat de l’exclusion des dispositifs de droit commun des plus vulnérables imposent un engagement plus lisible des différents acteurs".
COJ et CNPE font 48 recommandations, comme la garantie effective par l'Etat d'un niveau de ressources minimum aux jeunes sans soutien familial bénéficiant d’une mesure de protection jeune majeur, par le versement systématique et sans condition d’une allocation au moins équivalente au CEJ. Ils souhaitent également que les jeunes soient mieux informés sur leurs droits, et préconisent que soit assurée la continuité de l’accompagnement des jeunes sortant des dispositifs, jusqu’à l’autonomie, y compris au-delà de 21 ans, quand le projet du jeune le justifie, via les départements et les associations.
Le rapport “Laissez-nous réaliser nos rêves !“ ici