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Mayotte : convaincre les familles que leurs enfants peuvent réussir en restant sur l'île (interview exclusive)

Paru dans Scolaire le dimanche 25 juin 2023.

L'académie de Mayotte fait partie des lauréats de la première vague de l’appel à manifestation d’intérêt "Innovation dans la forme scolaire" lancée dans le cadre du PIA "France 2030" et 130 classes vont, dès l'année prochaine, expérimenter un jour par semaine "l'école hors les murs". Jacques Mikulovic, le recteur, évoque pour ToutEduc la situation dans l'île.

ToutEduc : Vue de métropole, la situation à Mayotte est catastrophique. Vous venez pourtant d'organiser à Mamoudzou un "forum de l'excellence". Quelles sont les raisons de votre optimisme ?

Jacques Mikulovic : Les enfants Mahorais ont un très gros potentiel. Ils sont intuitifs, intelligents, ils ont pour l'école et pour leurs maîtres un très grand respect. Certes, il y a parfois aux abords des violences qui sont le fait de bandes rivales, mais dans les murs, sauf lorsqu'il y a des intrusions, le climat reste globalement apaisé. Le revers de la médaille, c'est le manque d'interactions entre pairs et avec l'enseignant. Culturellement ça ne se fait pas de parler en classe. J'ajoute que les familles ont envers l'école une très forte attente, même si, du fait de leurs conditions de vie, les jeunes ont beaucoup de mal à se projeter dans l'avenir.

ToutEduc : A en juger par les diverses évaluations, les résultats ne sont pas là...

Jacques Mikulovic : Nous avons pourtant un grand nombre d'élèves brillants, qui réussissent. Nous avons d'ailleurs créé cette année une classe préparatoire aux concours ECG et tous les élèves sont admissibles à au moins une banque de concours (école de commerce et de management), la prépa PTSI (physique, technologie et sciences de l'ingénieur) créée l'année dernière a elle deux admissibles cette année aux écoles du réseau Polytech. Nous poursuivons les filières d’excellence avec à la rentrée une prépa Sciences po... Mais il faut bien reconnaître que les élites n'ont pas encore tout à fait confiance dans notre système et envoient encore trop souvent, dès la seconde, leurs enfants à la Réunion ou en métropole. Nous avons maintenant depuis 1 an un internat d’excellence, un second est en construction, et la centaine d’élèves qui y sont accueillis ne sont plus du tout les mêmes. Du fait des problèmes de circulation (ils partent à 4h du matin et rentrent chez eux à 19h !, insécurité dans les transports), des conditions quotidiennes de vie rester au lycée leur change la vie.

ToutEduc : Comment décririez-vous le contexte dans lequel s'inscrit le système éducatif ?

Jacques Mikulovic : La vie associative est importante, tous les dispositifs de soutien à la scolarité sont là, mais à l'échelle artisanale alors qu’il nous maintenant absorber ce flux d’élèves et passer à l'échelle industrielle... Mayotte est officiellement un département depuis 12 ans, en métropole, il a fallu 200 ans pour construire notre modèle actuel, laissons du temps à Mayotte. Les Mahorais sont très fiers de leur nationalité française, certains parlent extrêmement bien français, d'autres beaucoup moins, c’est notre défi que de les accompagner

ToutEduc : Et les enseignants ?

Jacques Mikulovic : Globalement les équipes pédagogiques sont très investies. Nous avons toutefois encore certains qui ne maitrisent pas parfaitement la langue française, ils sont en général en fin de carrière et ils sont en général très volontaires pour négocier des ruptures conventionnelles. Pour recruter de jeunes professeurs des écoles, nous bénéficions d’un régime dérogatoire avec un concours spécial à bac+3, et l'université de Mayotte permet de faire monter le niveau. Ils sont toutefois de mieux en mieux formés et, à raison de 200 par an, nous voyons le niveau de compétences s'améliorer. Mais nous comptons encore 20 % d’enseignants contractuels dans le 1er degré, 55 % dans le second. Cette île est magnifique, dispose sans doute du plus beau lagon du monde, malgré les images diffusées en métropole sur les violences, la vie y est très agréable, les élèves volontaires, nous avons donc des atouts pour attirer les lauréats des concours... les champs d’expérimentation pédagogique étant nombreux.

ToutEduc : Une partie de la population ne parle pas français, cela ne pose-t-il pas des problèmes pédagogiques spécifiques ?

Jacques Mikulovic : Effectivement, et un certain nombre d'enseignants resteraient encore favorable à un enseignement en shimaoré ou kibushi, pour des raisons pédagogiques et de respect de la culture locale. Mais lorsque l’on fait valoir que 80 % des élèves de 3ème n'ont pas le niveau attendu en fin de cycle 3 (le niveau attendu en fin de 6ème, ndlr), que les journées de Défense et citoyenneté, auxquelles ne participent que les jeunes Français, le taux d'illettrisme est de 43 %, il convient d’interroger notre modèle ou appréhension de cet apprentissage. L'inspecteur général Ollivier Hunneault va en soutien à l’académie pour mettre en place un vaste plan de formation des IEN et des conseillers pédagogiques afin ensuite d’accompagner au mieux les enseignants dans les méthodologies d’apprentissage des fondamentaux. Nous allons également inciter au CP une méthode de lecture, NEO (la méthode Nathan inspirée de LEGO, voir ToutEduc ici), de façon à accompagner avec un même outil tous les enseignants, notamment les plus jeunes.

ToutEduc : Vous avez aussi des problèmes matériels...

Jacques Mikulovic : Le bâti scolaire reste très insuffisant. Les collectivités en ont bien conscience mais elles sont réticentes quand il s'agit de construire des écoles qui, pensent parfois les élus, ne serviront pas à l’accueil d’élèves mahorais. Seuls 60 % des 3 - 5 ans sont scolarisés à plein temps. Nous avons en complément donc, un système d' "écoles dites itinérantes" qui accueillent les élèves à mi-temps afin d’augmenter le nombre d’enfants scolarisés en cycle 1. Cela dit, à l'entrée au CP, nous ne voyons pas de différence de niveau entre ceux qui ont été scolarisés à mi-temps et ceux qui l'ont été à plein temps.

ToutEduc : Toutes vos écoles sont classées "éducation prioritaire", tous les CP et CE1 sont-ils dédoublés ?

Jacques Mikulovic : Oui, au sens qu'il y a deux enseignants pour 30 élèves, mais faute de places, ils partagent le même espace. Cela pourrait être très bénéfique s'ils travaillaient ensemble, mais ce n'est pas toujours le cas. Il nous faut renforcer la formation des enseignants pour apprendre à mieux coopérer et sortir plus généralement d’un mode de transmission frontal descendant.

ToutEduc : Vous remettez en cause ce modèle ?

Jacques Mikulovic : Pour faire évoluer la situation à Mayotte, nous devons sortir des schémas traditionnels, à la fois être exigeants sur les contenus et expérimenter. C'est pourquoi nous avons répondu à l'appel à manifestation d'intérêt "Innovation dans la forme scolaire" lancé par le secrétariat général à l'investissement, et qu'une centaine de classes seront hors les murs de l'école un jour par semaine, pour rechercher d'autres modèles et réussir à renforcer nos parcours d'excellence. L’académie est un véritable terrain d’expérimentation au regard des défis qui sont à relever, une véritable opportunité professionnelle pour ceux qui nous rejoindrons.

Propos recueillis par P. Bouchard, relus par J. Mikulovic

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