L'apprentissage ne décolle pas aux niveaux CAP et bac pro (Institut Montaigne)
Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 16 juin 2023.
La politique de développement de l'apprentissage depuis 2017 "n’a pas réussi à véritablement faire décoller l’alternance sur les niveaux bac et infra-bac" note Bertrand Martinot dans une "note d'éclairage" publiée par l'Institut Montaigne. Il ajoute que "l’impact immédiat de la hausse de l’apprentissage sur le chômage des jeunes est faible", la baisse de leur taux de chômage pouvant "être attribuée à l’amélioration générale du marché du travail". Il note également que "la réforme n’a pas conduit à un transfert des jeunes scolarisés en lycée professionnel vers les mêmes formations (CAP et Bacs) par la voie de l’apprentissage". Autre constat : "il ne semble pas que les poursuites d’études en apprentissage dans le supérieur, après un apprentissage au niveau Bac pro, aient véritablement progressé."
Le coût pour les finances publiques
A ces constats s'ajoute une analyse des conséquences "de la levée de toute contrainte financière publique" : la "loi Pénicaud" exige que "tout apprenti obtenant une inscription en CFA et un contrat de travail déclenche automatiquement un paiement de la part de l’OPCO dont relève son employeur" alors que précédemment, les Régions limitaient le financement des CFA puisque, contrairement à l’État, elles sont contraintes d’équilibrer leur budget. "Le remplacement des régions par un financement forfaitaire 'au contrat' plutôt généreux, parfois calibré au-dessus des coûts réels (...) a permis à des centaines d’organismes de formation existants de se constituer en CFA pour développer leurs activités et trouver de nouvelles sources de financement (...). Au total, l’impact de la réforme sur les dépenses publiques est considérable."
Bertrand Martinot évoque également le taux de rupture des contrats qui peut dépasser 30 % (40 % dans l’hôtellerie − restauration) "surtout sur les premiers niveaux de qualification (CAP et Bac pro)" et il liste les causes, mésentente entre l’apprenti et l’employeur, mauvaises orientations, jeunes trop peu préparés à entrer dans le monde professionnel, manque de préparation des maîtres d’apprentissage... Il estime aussi que "les diplômes français se caractérisent par une proposition beaucoup plus forte d’enseignement général" (que leurs homologues allemands) : Il en résulte une augmentation du temps passé au CFA, "un temps passé en entreprise beaucoup plus faible, et une rentabilité moins forte pour l’entreprise".
Il s'interroge aussi sur les conditions de vie des apprentis qui ne se sont pas améliorées, d'autant que "certaines aides financées par les conseils régionaux avant la réforme ont été réduites, parmi lesquelles le soutien financier à l’équipement, à l’hébergement et à la restauration ou encore le financement de postes de médiateurs dans les chambres consulaires dans le cas de conflits entre l’apprenti et son employeur.“ D’autres aides ont été maintenues “mais elles sont versées par les OPCO qui ne financent que ce qui est payé. À titre d’exemple, si un CFA ne dispose pas d’internat, l’OPCO ne peut lui fournir une aide." L'auteur calcule aussi que la rémunération d'un apprenti peut être égale, voire inférieure au RSA et peut-être à la gratification prévue pour les stagiaires des lycées professionnels.
Les lycées pourraient transférer aux CFA leurs données
Il constate aussi que "la réforme n’a pas clarifié, et encore moins réglé la question centrale de l’orientation (...) : compétence théorique des régions (décentralisation sans transfert de moyens), autonomie de fait des établissements de l’Éducation nationale." De plus, le SPRO (service public régional de l’orientation) "s’est avéré, à l’expérience, une vision assez théorique", les bénéficiaires étant "trop divers pour qu’une véritable politique régionale soit impulsée et pilotée en la matière". Il estime d'ailleurs qu'il faudrait "donner aux départements et régions la possibilité d’imposer aux établissements (...) la tenue de forums et de présentations des métiers dans les collèges et les lycées avec la participation des entreprises locales", la présentation des métiers étant assurée par les branches professionnelles "via des ambassadeurs des métiers". Il propose en outre que lycées et CFA échangent leurs données, "après consentement exprimé par les jeunes concernés", pour que les CFA "puissent directement contacter les jeunes (...) afin de promouvoir leur formation".
Il propose enfin de modifier le mode de calcul des NPEC (niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage) et "de responsabiliser davantage les branches professionnelles en leur donnant la capacité (...) de créer des contributions conventionnelles complémentaires à la taxe d’apprentissage. Concrètement, France Compétences ne financerait plus qu’un socle" et "les compléments seraient apportés par les branches" tandis que "les entreprises pourraient être mises à contribution via un reste à charge plus élevé qu’aujourd’hui".
Bertrand Martinot "a été conseiller social à la présidence de la République de 2007 à 2008, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) de 2008 à 2012, puis directeur général adjoint de la région Île-de-France en charge du développement économique, de l’emploi et de la formation jusqu’en 2019. Il est actuellement directeur du conseil en formation et développement des compétences chez Diot-Siaci."
Sa note ici