Devenir et rester enseignant, à la fois “métier en péril“ et “enjeu de société“ (Revue Carnets Rouges)
Paru dans Scolaire le mercredi 24 mai 2023.
Comment devenir et rester enseignant ? Plusieurs spécialistes et chercheurs en éducation posent la question dans le dernier numéro de la revue Carnets Rouges, au travers d'analyses de multiples situations rencontrées durant leurs études et leur carrière.
Dans son éditorial, Christine Passerieux déplore notamment que la formation des enseignants, “condition fondamentale de l’accès de tous les élèves à une culture commune, est actuellement exsangue, ce qui entraîne une transformation du métier“. La didactique, continue-t-elle, “est mise en sourdine, la dimension universitaire de la formation abandonnée, pour privilégier le ‘terrain‘, qui contraint les enseignants à un bricolage hasardeux entre leurs souvenirs et les recettes à appliquer.“ Elle considère également que “le management néolibéral exige d’eux l’adaptation à ce qui devient un emploi, dans l’obéissance aux prescriptions, la soumission aux injonctions souvent contradictoires, sans aucune prise en compte des savoirs professionnels existants.“ En outre, les “passeurs de savoirs“ que sont les enseignants se trouvent “de plus en plus assignés à opérer le tri social dans une école parmi les plus ségrégatives en Europe et ressentent un sentiment d’indignité destructeur.“
De son côté, Paul Devin traite du recours à l'emploi contractuel, voulu par la flexibilisation des effectifs de la fonction publique. Mais “force est de constater, estime-t-il, sa totale incapacité à régler la crise de recrutement qui obère pourtant gravement l’avenir de l’action publique éducative.“ De quoi s’interroger sur “les motivations de la transposition dans la fonction publique d’une stratégie qui, dans l’entreprise privée, correspond à une variabilité économique de la production qui peut produire de fortes fluctuations du besoin d’emplois“, alors qu'une “telle variation est difficilement comparable avec la permanence de l’activité de l’Éducation nationale.“ Renforcement du pouvoir hiérarchique, modification des critères de recrutement.. On assiste à une “transformation des métiers enseignants“ dont la précarisation de l’emploi s'ajoute à “une précarisation du travail conçu comme une succession d’opérations qu’il faut asservir pour produire des indicateurs attendus“.
A l'aide d'une enquête sur les plus de 50 ans, Françoise Lantheaume évoque les ressorts de la persistance des enseignants en fin de carrière dans le travail. Son constat tend à montrer que “la pensée critique et l’autonomie de l’action apparaissent comme des conditions favorables à l’engagement des enseignants en fin de carrière“, et que “si ces deux conditions ne sont pas réunies, le travail perd de son sens et de son intérêt.“ En fin de carrière, poursuit-elle, les enseignants “agissent de façon à préserver voire augmenter leur autonomie, ce qui s’accompagne d’une posture distanciée à l’égard des injonctions et de la hiérarchie. Non pas pour les ignorer, mais pour être plus focalisés sur une interprétation pertinente des prescriptions en relation avec leurs élèves, leur environnement de travail, en prenant le temps de l’adaptation.“
Richard Étienne s'interroge sur l'actuelle “vague de démissions qui s’amplifie“ et qui tire son origine de la “rigidité de l'Education nationale“ concernant les demandes d'affectation ou les reconversions, de la formation ou encore de l'orientation : “La vocation ? Peut-être, mais il s’agit plus souvent d’un métier rêvé que l’on veut exercer parce que (sic) ‘on aime les enfants‘, expression fréquemment recueillie chez les jeunes stagiaires.“
Revue Carnets Rouges n° 28, mai 2023, 8 € (à télécharger ici).