Les politiques scolaires au prisme des attaques des antipédagogues (ouvrage, Y. Forestier)
Paru dans Scolaire le mercredi 19 avril 2023.
L'antipédagogisme a structuré le débat sur l'école depuis, au moins, les années 80, estime Yann Forestier. L'historien définit ce courant de pensée comme "une modalité de la résistance au changement", et plus encore, de défense d'une Ecole "faite pour le maître plutôt que pour l'élève". C'est ainsi que pour Jean-Claude Milner, dans un essai publié en 1984, l'Ecole "s'apparenterait à une sorte de mécénat qui aurait pour fonction première d'offrir à des intellectuels, les professeurs, les moyens de travailler à l'approfondissement de leur discipline, en échange d'un service d'enseignement".
Même si le titre, "Changer l'école ou la sauver" semble placer à égalité les deux camps, les réformateurs et les conservateurs, l'auteur, enseignant en lycée, à Rennes-2 et à Caen, ne cache pas où vont ses sympathies et antipathies. Mais il se fonde sur une étude précise de la presse et des axes de communication des principaux responsables politiques pour une reconstitution rigoureuse d'un débat qui se caractérise surtout par l'absence de rigueur intellectuelle de nombreux acteurs. Il arrive fréquemment, notamment dans les colonnes du Figaro, que l'éditorialiste ne tienne pas compte des faits présentés dans les mêmes colonnes par la journaliste spécialiste du sujet.
Au-delà d'une histoire des politiques éducatives de ces dernières décennies au prisme de la presse, et des formes que prend, selon les époques, leur contestation, Y. Forestier décrit les ruses du système médiatique, et comment "prend" une polémique, comment certains parviennent à imposer les termes du débat, avec des formules dont la force rhétorique fait oublier l'absence de fondements factuels. Philippe Meirieu en a fait les frais, surtout lorsque Claude Allègre lui a confié une mission sur la réforme du lycée. L'auteur montre aussi comment les ministres qui se sont succédé rue de Grenelle ont su, ou n'ont pas su, réagir aux querelles qu'on leur cherchait, jusqu'à Jean-Michel Blanquer qui a réussi à "fragiliser le rôle du discours (antipédagogiste) en tant que discours contestataire" tout en en reprenant à son compte le lexique.
Yann Forestier, "Changer l'école ou la sauver, une polémique médiatique", PUF, 280 p., 22€