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Elèves en situation de handicap : la condamnation de la France

Paru dans Scolaire le lundi 17 avril 2023.

"La France ne respecte pas le droit des personnes handicapées à mener une vie indépendante au sein de la communauté, à l'intégration sociale et à la pleine participation à la vie de la communauté." La décision du Comité européen des droits sociaux, "une institution du Conseil de l'Europe", date du 19 octobre. Elle vient d'être rendue publique, ce 17 avril. Le comité unanime considère notamment "qu'il y a violation de l'article 15§1 de la Charte en raison de l'absence d'adoption par les autorités de mesures efficaces dans un délai raisonnable pour remédier aux problèmes persistants et anciens liés à l'inclusion des enfants et adolescents handicapés dans les écoles ordinaires".

Le Conseil de l'Europe considère, également à l'unanimité, que les autorités n'ont pas adopté "des mesures efficaces dans un délai raisonnable en ce qui concerne l'accès aux services d'aide sociale et aux aides financières (...), en ce qui concerne l'accessibilité des bâtiments et des installations (...), en ce qui concerne l'accessibilité des transports publics", ni pour "adopter une politique coordonnée pour l'intégration sociale et la participation à la vie de la communauté des personnes handicapées" ou "pour remédier aux problèmes de longue date liés à l'accès des personnes handicapées aux services de santé". Le Conseil dénonce encore "la "pénurie de services d'aide et le manque d'accessibilité des bâtiments et des installations ainsi que des transports publics (...), ce qui équivaut à un manque de protection de la famille."

L'article 15, 1er alinéa

Voici les principaux éléments de la procédure, en ce qui concerne la scolarisation des enfants en situation de handicap. L'article 15 de la "Charte sociale européenne" prévoit que "toute personne handicapée a droit à l'autonomie, à l'intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté" et que les Parties (les Etats signataires, ndlr) s'engagent "notamment à prendre les mesures nécessaires pour fournir aux personnes handicapées une orientation, une éducation et une formation professionnelle dans le cadre du droit commun chaque fois que possible ou, si tel n’est pas le cas, par le biais d’institutions spécialisées publiques ou privées".

Les organisations plaignantes, APF France Handicap, la FNATH (accidentés de la vie), l'UNAFAM (personnes vivant avec des troubles psychiques) et l'UNAPEI (troubles du neuro-développement) regroupées sous le sigle EDF et Inclusion Europe considèrent que "les difficultés d'accès à l'éducation pour les enfants handicapés reflètent l'absence d'une stratégie significative en matière de handicap en France". Parmi les mesures qu'il serait nécessaire de prendre, elles citent notamment "la formation initiale et continue des enseignants et de tous les autres intervenants" et elles considèrent que "les éléments mentionnés par le Gouvernement dans son mémoire ne répondent pas à ces exigences, dès lors que les mesures prévoient uniquement la création de classes spécialisées pour les élèves handicapés".

Elles font valoir que "de très nombreux enfants handicapés (entre 10 000 et 30 000) ne sont pas scolarisés, ou le sont dans des conditions inadaptées ou à temps partiel", qu"en raison de l'indisponibilité des SESSAD (Service d'éducation spéciale et de soins à domicile), de nombreux enfants autistes ne peuvent pas fréquenter leur école de quartier et sont orientés vers un établissement spécialisé, l'IME (Institut Médico-Educatif), qui est en général éloigné du domicile familial". Elles estiment que "les insuffisances de la formation initiale et continue des AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap), la difficulté d’accéder à des emplois stables et le très faible niveau de rémunération" constituent autant d'obstacles "à l’attractivité de ce métier et à la professionnalisation des accompagnants".

"Les organisations réclamantes" dénoncent par ailleurs le manque de statistiques consolidées. Les données fournies par le Gouvernement "n’illustrent en rien la réalité de la situation", estiment-elles.

En réponse

Le Gouvernement fait valoir en réponse "qu’un plan de transformation a été lancé pour permettre aux écoles d’être pleinement inclusives" et donne des chiffres pour l'année 2017 - 2018.

Le Comité souligne que l'article de la charte 15 §1 est "exceptionnellement complexe ou particulièrement coûteux à résoudre" mais qu'un État doit prendre les mesures qui lui permettront d'atteindre les objectifs "dans un délai raisonnable, avec des progrès mesurables et dans une mesure compatible avec l'utilisation maximale des ressources disponibles".

Il reconnaît " les efforts déployés par le Gouvernement pour assurer l’inclusion des élèves handicapés dans les classes ordinaires, en particulier les améliorations apportées en 2019 concernant le statut des AESH (...). Il note également l’augmentation constante, au cours des dernières années, du nombre d’AESH et d’élèves handicapés scolarisés dans les écoles ordinaires." Certes, "la création de classes séparées dans les écoles ordinaires (ULIS) (...) n’est pas en soi incompatible avec la Charte", certes "l’accès des élèves handicapés à la scolarité et à l’éducation a indéniablement continué de progresser ces dernières années". Certes, le Gouvernement a pris en 2019 des mesures qui "revêtent une importance particulière concern(ant) le recrutement d'AESH en contrat de droit public à durée indéterminée (CDI) (...), ainsi que la mise en place d'une formation continue de 60 heures par an".

Néanmoins

Néanmoins, "il estime que, 14 ans après l’adoption de la loi de 2005 qui consacre le droit de tout enfant à une scolarisation en milieu ordinaire, et 16 ans après l’adoption par le Comité de sa décision dans l’affaire Autisme-Europe c. France, (...), les mesures prises par le Gouvernement pour remédier aux problèmes persistants et de longue date liés à l'inclusion des enfants handicapés dans les écoles ordinaires ne peuvent être considérées comme ayant été prises dans un délai raisonnable ni comme ayant été efficaces. Le Comité dit qu’il y a violation de l’article 15§1 de la Charte au motif que les autorités n’ont pas pris de mesures efficaces en temps utile pour remédier aux problèmes persistant de longue date, liés à l’inclusion des enfants et adolescents handicapés dans les écoles ordinaires."

A noter que le Comité attache "une importance particulière à l’assistance scolaire en tant que moyen permettant le maintien des enfants et adolescents autistes dans le cadre de l’école ordinaire" et il souligne que "le fait que l’État n’assure pas la continuité du service tout au long de la scolarité des enfants concernés est de nature à élever des barrières au parcours scolaire des enfants et adolescents autistes" ou porteur de tout autre handicap.

D'autres mesures

Le comité évoque d'autres mesures que peuvent prendre les Etats comme "adapter la classe et déménager la classe de local", "fournir une technologie d’assistance pendant les cours ainsi que des aménagements autres que matériels, par exemple d’accorder davantage de temps à un élève, de réduire le niveau du bruit de fond, ou de remplacer un volet du programme par un autre"...

Le Comité dénonce "l'absence de données statistiques fiables et détaillées sur l'accès à l'éducation des enfants handicapés, notamment en ce qui concerne le nombre de ceux qui sont exclus de l'éducation".

Il est particulièrement sévère en ce qui concerne la situation des AESH. Il estime que le nombre croissant de notifications d’attribution d’un AESH "qui ne sont pas mises en œuvre (ou qui le sont uniquement pour de courtes périodes) constitue un problème récurrent et persistant depuis de nombreuses années". Il souligne les lacunes de leur formation initiale et continue, "la difficulté d'accès à des emplois stables et le très faible niveau de rémunération" qui "rendent ces fonctions peu attractives". C'est ainsi que "seuls 2 % des AESH actuellement en poste disposent d’un emploi à temps complet" et que leur rémunération moyenne "n’est ainsi, en pratique, que de 760€ par mois". Les PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés) permettent en outre qu'un AESH "s’occupe simultanément de plusieurs élèves handicapés", "au sein de plusieurs établissements, ce qui leur impose des déplacements quotidiens et entraîne une prise en charge dégradée des élèves".

(Résumé de la procédure grâce à la traduction en français aimablement fournie par la FNATH)

La décision du comité ici, la procédure ici

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