Le lycée autogéré de Paris s'inquiète d'une volonté de “normalisation“ de l'établissement par le rectorat de Paris
Paru dans Scolaire le vendredi 17 février 2023.
Au rectorat, “ils veulent totalement changer notre manière de vivre et de cohabiter dans notre lycée, en nous imposant les règles strictes de l'Education nationale“, explique ce lycéen mardi 14 février dernier devant le lycée Jean Lurçat, dans le 13ème arrondissement de la capitale. Comme lui, ils étaient une bonne cinquantaine, élèves comme professeurs, anciens ou actuels, à s'être réunis pour défendre le Lycée Autogéré de Paris (LAP) tel que conçu à sa création.
Ce projet expérimental, qui s'adresse en particulier à des jeunes en rupture avec le système scolaire traditionnel, fut mis en place sous la mandature d'Alain Savary au même titre que trois autres établissements (le lycée autogéré de Saint-Nazaire, le CLE à Hérouville-Saint-Clair, le CEPMO Oléron). Depuis 1982, il a gardé pour piliers la libre fréquentation, la cooptation, ou encore le recrutement des élèves.
Mais pour ses participants actuels, à l'instar de cette enseignante interrogée par ToutEduc, il y a la crainte d'une “volonté de normalisation“ du LAP de la part du rectorat de Paris. Comme une sorte de reprise en main. “L'absence de hiérarchie, les décisions collectives, c'est ça qu'ils ne veulent plus“, analyse-t-elle. Avec l'idée, selon ses dires, de ne pas fermer l'établissement directement, “ce qui ferait trop de bruit“, mais d'en transformer le contenu.
En 2022, le rectorat n'a pas renouvelé la traditionnelle convention donnant statut dérogatoire à l'établissement qui a lieu tous les 5 ans, pour lui demander de remplir un projet d'expérimentation tel que prévu désormais par la loi de 2019 (pour une école de la confiance, ndlr).
Depuis cette date, raconte l'enseignante précitée, l'institution n'aurait plus souhaité communiquer directement avec les membres du lycée, mais uniquement en passant par la proviseure de l'établissement auquel il se rattache, le lycée Jean Lurçat. Si ce lien est légalement obligatoire, pour l'enseignante “le rectorat impose une hiérarchie, de faire comme dans un lycée traditionnel, où c'est le proviseur qui s'adresse au rectorat et les enseignants jamais ne le font. Là c'est une manière de nier notre fonctionnement autogestionnaire, c'est le signe qu'on veut le supprimer“.
Sylvie Bezat, fraîchement arrivée à la tête du lycée Jean Lurçat serait, selon les membres du LAP rencontrés, assez bienveillante mais pas porteuse du projet et surtout “prise en étau“ par le rectorat qui lui demanderait de s'occuper de plus en plus de charges administratives du LAP. A sa charge également de superviser la réécriture du projet d'expérimentation, dont la première version n'a pas été acceptée par le rectorat, selon ses propres critères. C'est la raison pour laquelle la proviseure a convoqué la réunion avec tous les acteurs du dossier ce mardi 14 février. A l'issue de celle-ci, elle aurait déclaré ne pas vouloir signer, par exemple pour des voyages, sans regarder ce qui se passe réellement, sa responsabilité étant alors engagée.
Le rectorat aurait de son côté indiqué lors de la réunion vouloir soutenir le LAP, et même s'appuyer dessus pour accueillir des élèves ayant des problèmes médicaux et des difficultés psychologiques. Or dans ce cas, “le lycée est vidé de sa substance“, estime au contraire cette autre enseignante, qui pense que “le rectorat a profité du changement de proviseur(e) pour réformer le lycée“. Ce qui se dessine, selon elle, “ce n'est plus un lycée autogéré“, mais une sorte de “soin-étude“ au rabais, et seul son nom serait préservé.
Les membres du LAP indiquent avoir reçu, suite à cette réunion, un retour écrit du rectorat sur le projet expérimental dont ils n'avaient jusqu'alors pas eu connaissance. S'ils pourront désormais participer aux futures réunions qui concernent l'établissement, leur a été demandé de reformuler ce projet, ce dont ToutEduc a eu confirmation. Mais ils estiment que leur démarche n'a pas changé depuis 40 ans, que les discussions doivent se faire dans le cadre du système mis en place par la structure (notamment en termes de délibération), et que c'est au contraire au rectorat d'être clair dans ses demandes s'il souhaite des changements au sein du LAP.
Le site du LAP ici
à