Etre militant en mai 68: Quel héritage professionnel et scolaire pour la seconde génération? (travail de thèse)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mardi 06 juillet 2010.
Quelle est la perpétuation des pratiques et des convictions politiques soixante-huitardes? Peut-on qualifier les enfants des soixante-huitards d’"héritiers de 68 "? Quelles incidences peuvent avoir une éducation "contre-culturelle", sur les trajectoires scolaires, professionnelles, politiques et familiales de ces enfants? Pour explorer les conséquences sur les secondes générations de la participation aux événements de Mai-Juin 68, une enquête a été menée auprès de personnes ayant participé aux événements et de leurs enfants scolarisés dans deux écoles alternatives à Paris et à Nantes par la doctorante Julie Pagis (Paris-V): L'école Vitruve (Paris) et l’école "ouverte " d’Ange-Guépin, affiliée aux réseaux de l’ICEM et fondée en 1973 dans un quartier ouvrier de Nantes.
Il s'agit pour la thésarde de déconstruire une "mémoire de Mai 68" fixée et une figure type du "soixante-huitard", qui serait défine "à partir du devenir d’une petite poignée d’entre eux, opportuniste, bien reconvertie, occupant des postes de pouvoir dans les champs politiques, médiatiques et littéraires", et "convertie au libéral-libertarisme". En contrepoint, elle interroge l'image d'une "génération d’enfants de soixante-huitard" désenchantée, sacrifiée, dépolitisée, individualiste.
La date de naissance des enfants et la configuration familiale dans laquelle les enfants grandissent s’avèreraient déterminantes dans l'héritage transmis. Après le tournant de 1970, "les parents n’en sont plus aux mêmes étapes politiques et professionnelles et sont, pour la plupart, revenus à des formes de vie conjugale plus 'classiques' et/ou se sont reclassés après des mois/années de militantisme politique et/ou de marginalité sociale".
L'influence du sexe de l'enfant serait notable. Etre fils ou fille de soixante-huitards ne renverrait pas à la même expérience de l’héritage, le coût de la remise en cause de l’ordre quotidien étant plus élevé pour les filles, notamment du fait des possibilité offertes aux filles d’avoir les mêmes préoccupations, jeux, aspirations que les garçons. Autant de possibilités davantage "déstabilisantes".
Passant en revue différentes postures face à l'héritage, de l'adhésion au rejet des valeurs et croyances, le travail souligne les obstacles susceptibles de troubler la transmission familiale. Les premiers seraient à chercher du côté des parents et des pratiques éducatives mises en oeuvre. "L’ambivalence de certains parents qui ne voulaient pas reproduire l’ordre social dominant et qui ont remis en cause, dans leurs pratiques quotidiennes, les logiques qui sous-tendent la transmission – rejet de l’héritage, de l’élitisme scolaire (...) – a pu entraîner une perte d’influence des figures parentales face aux autres agents de la socialisation primaire".
La divergence entre la socialisation familiale et la socialisation scolaire constituerait également un frein à la transmission de l'héritage soixante-huitard. L’enquête montre que l'entrée au collège (ou pour être plus précis la sortie de l’école expérimentale) a constitué pour de nombreux enfants "un moment critique", bien souvent "le moment d’une prise de conscience accélérée de leur différence". "Ces enfants se trouvant alors exposés à un véritable conflit de normes", un double-bind. "La réussite scolaire versus l’échec" conditionnerait l’appropriation ou le rejet des héritages politiques transmis. La possibilité pour la seconde génération de s’adapter à la société dans laquelle elle vit "sans renier les héritages" dépendrait des ressources sociales, scolaires, culturelles, économiques détenues par les familles.
Concernant le réinvestisement professionnel de cet héritage, Julie Pagis fait état d'une posture réflexive "commune aux deux générations" qui prendrait "des formes assez similaires": engagement dans l'enseignement et la recherche en sciences sociales, journalisme, secteur psy. Avec un léger bémol, la posture de sublimation par l’art étant "plus développée chez les enfants de soixante-huitards", la reconversion dans les professions du travail social, et du secteur de l’animation caractérisant "davantage la génération des parents".