Un grand absent de la concertation sur l’enseignement professionnel : l’enseignement supérieur (Daniel Bloch)
Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 29 novembre 2022.
Alors que la réforme de l'enseignement professionnel "fait la une" de l'actualité de l'éducation, le recteur Daniel Bloch, "le père du bac pro", nous adresse cette tribune que nous publions bien volontiers. Selon la formule consacrée, son point de vue n'engage que son auteur.
A l’initiative du Président de la République se prépare une réforme – bien nécessaire - de l’enseignement professionnel. La réforme précédente, conçue et conduite par Jean-Michel Blanquer tout au long du premier quinquennat, a en effet présenté un caractère bien davantage cosmétique que stratégique. Elle n’a en effet pas pris à bras le corps les difficultés que cet enseignement rencontrait, à savoir la baisse du niveau des élèves y accédant à l’issue de la classe de troisième, tant pour préparer un CAP qu’un baccalauréat professionnel, mais aussi les effets de la contre-réforme de 2009 qui, en dépit de cette baisse du niveau des entrants, avait réduit de quatre à trois années la durée de préparation du baccalauréat professionnel. Ce qui avait ainsi abaissé le niveau du baccalauréat professionnel lui-même avec, en conséquence une perte de « valeur marchande » de ce diplôme sur le marché de l’emploi. Mais aussi une quasi-obligation, particulièrement dans le secteur des services, de poursuivre une formation, essentiellement en section de techniciens supérieurs, afin d’y préparer un BTS. Et là encore rien de simple : la moitié seulement de ceux qui souhaitent prolonger ainsi leur formation y trouve place. Et la moitié de ceux qui y sont admis échoue. La question de la poursuite des études des bacheliers professionnels vers les enseignements supérieurs doit, en conséquence, être réexaminée sur le fond. Le BTS, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, est essentiellement adapté à la poursuite d’études des bacheliers des séries technologiques du baccalauréat. Les bacheliers professionnels ne peuvent se transformer en bacheliers technologiques au cours des quelques semaines qui séparent la remise de leur diplôme de la rentrée qui suit.
L’absence du ministère en charge des enseignements supérieurs dans la concertation en cours, portant sur cette nouvelle réforme, est d’autant plus regrettable que depuis la création du baccalauréat professionnel, en 1985, le centre de gravité des enseignements professionnels s’est profondément déplacé, de l’enseignement secondaire en direction des enseignements supérieurs. Le CAP ne « pèse » plus désormais que 20 % des effectifs de lycéens et d’apprentis engagés dans les formations conduisant au CAP, au baccalauréat professionnel ou au BTS. A comparer à 30 % pour les BTS, en nous limitant ainsi, pour l’instant, aux seuls diplômes d’un niveau inférieur à celui de la licence.
Les Lycées. Examinons tout d’abord ce qu’il en a été pour les effectifs des lycées – publics ou privés – relevant du ministère de l’Education nationale, depuis 1985, jusqu’à nos jours.
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Le nombre de lycéens a connu une érosion de faible amplitude, limitée à 50 000 élèves, et ainsi nettement inférieure à celle qui aurait dû survenir en raison de la seule disparition – ou presque – des redoublements mais aussi de l’« amélioration » des taux de réussite aux examens. Cette évolution recouvre cependant une profonde transformation de la structure par niveaux, amplifiée en 2009 par la réforme du baccalauréat professionnel. Les effectifs scolarisés au premier niveau de formation, celui du CAP/BEP, qui « pesaient » près de 90 % du total en 1985, n’en constituent désormais plus que 12 % , soit moins de la moitié de la part – 28 % - des lycéens préparant un BTS.
Les Centres de formation d’apprentis (CFA). La proportion d’apprentis préparant un CAP en CFA s’est également réduite, ne concernant désormais plus qu’un quart des apprentis engagés dans les formations ici considérées, mais cette baisse a néanmoins été modeste, de sorte que le nombre des apprentis préparant un CAP en CFA est désormais supérieur à celui de ceux qui le préparent sous statut scolaire.
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Si le nombre d’apprentis préparant un baccalauréat professionnel s’accroît, ce baccalauréat demeure pour l’essentiel un diplôme des lycées professionnels. Par ailleurs, si les effectifs scolarisés en lycée dans le cadre de la préparation d’un BTS ne se sont guère accrus depuis l’an 2000 en lycée, ceux des CFA ont marqué une forte hausse.
En résumé, on note ainsi, sur la période considérée, une faible croissance du nombre total d’élèves et d’apprentis engagés dans l’enseignement professionnel mais avec désormais un nombre d’élèves et d’apprentis préparant un BTS excédant nettement celui de ceux préparant un CAP.
LYCÉES + CFA |
1985 – 1986 |
2000 – 2001 |
2020 – 2021 |
CAP |
1 030 000 |
740 000 |
270 000 |
Bac Pro |
0 |
200 000 |
570 000 |
BTS |
110 000 |
265 000 |
360 000 |
Total |
1 140 000 |
1 205 000 |
1 210 000 |
Dans ces conditions, comment comprendre l’absence du ministère des enseignements supérieurs dans le dispositif mis en place, notamment pour traiter des quotas d’admission des bacheliers professionnels en STS, de la transformation des BTS en bachelor professionnel aux normes européennes, du statut particulier à introduire pour les professeurs de lycée professionnels exerçant dans l’enseignement supérieur mais également des bourses, en rappelant que les élèves préparant un BTS ont le statut d’étudiant. Le ministère de l’Education nationale doit se rapprocher du ministère en charge des enseignements supérieurs. En sortant de son quant-à-soi.
Daniel Bloch, dernier ouvrage paru : Histoire engagée de l’enseignement professionnel. De 1984 à nos jours, Presses universitaires de Grenoble, septembre 2022, 20 €.