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Enseignement professionnel : La réforme de la gouvernance, mère de toutes les autres réformes ? (Une tribune de Daniel Bloch)

Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 16 novembre 2022.

A la veille d'une nouvelle "journée de grève et de moblisation" à l'appel de l'intersyndicale de l'enseignement professionnel, le recteur Daniel Bloch nous adresse cette tribune que nous publions bien volontiers. Selon la formule consacrée, ses opinions n'engagent que leur auteur.

L’enseignement professionnel s’est situé le plus souvent, et de longue date, dans un angle mort du système éducatif. Une des exceptions notables, en 1985, avec Jean-Pierre Chevènement et l’introduction du baccalauréat professionnel, sans doute la principale réforme du système éducatif de ces quarante dernières années. Cet enseignement professionnel s’est profondément détérioré au cours des 20 dernières années, avec la contre-réforme de 2009 du baccalauréat professionnel qui, en réduisant de quatre à trois années sa durée de préparation, a considérablement dégradé les conditions d’accès à l’emploi de ses diplômés. Il a par ailleurs subi de plein fouet la baisse du niveau des élèves à la sortie du collège, et plus particulièrement des "moins bons" d’entre eux, ceux qui constituent l’essentiel des entrants dans l’enseignement professionnel, et plus encore dans les formations conduisant au CAP qu’à celles amenant au baccalauréat professionnel.

Le président de la République a placé au niveau des priorités de son nouveau quinquennat la question de l’enseignement professionnel. Une première dans l’histoire de notre République. Et pourtant, au lieu de l’en féliciter, la communauté éducative est vent debout contre la philosophie sous-jacente à la réforme qu’il propose. Des réformes qui, telles qu’elles sont avancées, ne sont pas à la hauteur des enjeux ni économiques : la réindustrialisation de la France, le rééquilibrage de sa balance commerciale, ni à la hauteur des enjeux sociaux : l’élévation du niveau de culture générale de tous. Qui peut raisonnablement penser que la substitution de quelques semaines de cours en lycée professionnel par quelques semaines en milieu professionnel serait la solution ? Et comment ne pas comprendre qu’aujourd’hui les compétences générales ne peuvent plus être dissociées des compétences professionnelles. Elles en font partie. Qui a aussi mal conseillé notre Président ?

La création d’un ministère délégué à l’enseignement professionnel est une bonne nouvelle, traduisant l’importance qui est attachée à cet enseignement. Mais comment en est-on alors arrivé, à partir des meilleures intentions, à un désastre pareil ?

Carole Grandjean, nommée à ce poste de ministre, a réuni, le 21 octobre, un groupe de concertation. Cette première séance a été boudée par la plupart des organismes représentatifs des personnels concernés, compte tenu de ce que la réforme, telle qu’elle était proposée, apparaissait comme figée dans le marbre, y compris dans ses détails, non négociable, et de plus inappropriée. Ce groupe – ainsi réduit - a eu lors de cette première séance à connaître du bilan de la réforme Blanquer de février 2018, une réforme qui avait reposé sur un rapport signé par Céline Calvez et Régis Marcon, réalisé avec l’ "appui " de l’Inspection générale de l’Éducation nationale.

En introduction, le groupe de "concertation" a pu prendre connaissance d’une évaluation de cette réforme effectuée par ceux qui avaient eu la charge de la mettre en œuvre. De fait, ainsi, une autoévaluation, évidemment favorable, alors que personne ne peut soutenir que la réforme Blanquer de 2018 ait permis à l’enseignement professionnel de "progresser sur la voie de l’excellence". Sinon, pourquoi une nouvelle réforme aurait-elle apparue à tous comme aussi urgente parce que à ce point essentielle ?

Un état des lieux si possible partagé, conduit de façon indépendante, aurait pourtant été indispensable, avant toutes propositions précises, d’autant plus que les tenants de la réforme de 2018 s’étaient eux-mêmes refusés à ce que leurs propositions reposent sur un tel état des lieux : "Dressons un état des liens, approche plus engageante qu’un état des lieux !" écrivaient-ils alors.

Était-il raisonnable de demander à l’Inspection générale de dresser l’état des lieux d’une réforme qu’elle a elle-même inspirée et conduite ?

La trop forte "proximité" entre la haute administration et l’Inspection générale de l’Éducation nationale, ici pointée du doigt, a fait l’objet de remarques de la Cour des comptes qui demanda en 2018 au ministère de l’Éducation nationale de clarifier le rôle de la Direction générale de l’enseignement scolaire et de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, en séparant notamment les fonctions simultanément ou tour à tour prescriptives et évaluatives pouvant se traduire par des conflits d’intérêts. Rares ont été, dans l’histoire de l’Education nationale, les ministres ayant eu la force et le courage de tordre le bras des uns ou des autres…plutôt que de trop les écouter.

La réforme de la gouvernance de l’enseignement professionnel ne serait-elle pas la mère de toutes les autres réformes ? Il faut ouvrir les portes et les fenêtres…

Daniel Bloch auteur de "Une histoire engagée de l’enseignement professionnel" (Presses universitaires de Grenoble, 2022, 20€)  et du rapport "Un nouveau souffle pour l’enseignement professionnel" (Terra Nova, juin 2022)

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