Lecture : “Tenter d’apprendre des mots écrits par cœur, sans apprendre le principe du décodage, serait comme essayer d’apprendre un annuaire téléphonique !“ (CSEN)
Paru dans Scolaire le vendredi 28 octobre 2022.
“Tenter d’apprendre des mots écrits par cœur, sans apprendre le principe du décodage, serait comme essayer d’apprendre un annuaire téléphonique !“ estime le CSEN dans la synthèse sur l'apprentissage de la lecture parue en ce mois d'octobre.
Alors qu'entre 2000 et 2018, le pourcentage des élèves les plus faibles en lecture est passé de 15,2 à 20,9 % en France, le Conseil supérieur de l'Education nationale choisit de passer en revue les connaissances scientifiques (du moins celles qu'il a sélectionnées, ndlr), trois ans après sa synthèse “Pédagogies et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ?“.
Il indique que les difficultés relevées en compréhension de la langue écrite peuvent notamment “provenir de problèmes de compréhension de la langue orale ou d’une mauvaise maitrise du décodage“ et que dans ces deux domaines, “les interventions ciblées au sein de l’école sont possibles et efficaces“.
Si la compréhension écrite dépend du niveau de compréhension de la langue orale et de décodage, mis ensemble “dans une relation qui est multiplicative“, pour le CSEN maîtriser le décodage est “essentiel pour apprendre à lire“, et “commencer par le décodage est crucial“, explique-t-il.
Cet apprentissage “est un peu plus difficile, poursuit-il, et un peu plus long, quand le nombre de correspondances à apprendre est plus élevé, comme en français et, surtout, en anglais. Mais il n’y a pas d’alternative – il faut apprendre le code ! Le décodage est un mécanisme puissant et efficace pour rentrer dans la phase initiale de la lecture“.
Ainsi, “le décodage doit d’abord être enseigné de façon explicite, systématique et intensive : 2 à 3 correspondances graphèmes-phonèmes par semaine, en commençant par les plus régulières et les plus fréquentes. Tout doit être bien expliqué aux élèves : par exemple, que l’on doit commencer par la gauche du mot, tout au moins en français, et que chaque lettre ou groupe de lettres (les graphèmes) correspondent le plus souvent à un son (les phonèmes).“
Ce mécanisme “devient progressivement très rapide : c’est l’automatisation du décodage, qui donne lieu à des représentations orthographiques. Les mots du vocabulaire écrit sont alors stockés dans une mémoire spécifique : le lexique orthographique qui va de pair avec le lexique phonologique."
Avec le maitre, cet apprentissage explicite va alors “rapidement basculer vers un apprentissage implicite, sans le maitre – un auto-apprentissage qui permet à l’élève de renforcer les règles apprises et d’en inférer de nouvelles lorsqu’il rencontre de nouveaux mots ayant des correspondances graphème-phonème atypiques.“
Vient ensuite la compréhension de la langue écrite, qui “repose sur des capacités linguistiques (vocabulaire, grammaire) et non linguistiques (entre autres, l’attention et la motivation, qui est elle-même influencée par le niveau de lecture, les bons lecteurs ayant plus envie de lire que les moins bons)". Alors que “comprendre ce qui est lu, c’est établir des liens entre des mots et des phrases“, le CSEN considère toutefois que “apprendre à décoder les mots, cela peut aller vite : moins d’une année de CP“ mais que “apprendre à comprendre, cela s’étale sur des années – d’abord à l’oral, ensuite à l’écrit.“
Aussi, “pour aider les élèves il faut donc connaître, au-delà du décodage, les processus qui permettent la compréhension du langage écrit comme celle du langage oral“, ce qui semble passer par les informations “inférées“ car non-présentes dans le texte lu ou entendu.
Cependant, “dans quelques cas le lecteur ou l’auditeur se contentent d’un niveau de compréhension superficiel, qui ne tient pas totalement compte du contenu du message, mais qui est suffisamment bon.“
Tant que l’élève ne sait pas lire (en maternelle et en début de CP), les activités autour de la compréhension doivent être abordées à partir de textes lus par l’enseignant. Les récits par exemple, permettent d’interagir facilement avec les élèves, et “quand ils sont lus plusieurs fois, permettent de construire une mémoire collective et, de ce fait, une culture collective“ tout autant qu'ils familiarisent les élèves avec les spécificités du langage écrit.
En outre, la compréhension doit être également travaillée à l’oral à partir d’autres types de textes ainsi que sur des unités plus petites que les textes : les mots et les phrases. Il est en effet “crucial de travailler le vocabulaire“ car il joue un rôle clé dans la compréhension de la langue orale, il facilite l’entrée dans l’écrit (la mise en place du décodage des mots) et parce que “c’est une des compétences qui différencie fortement les enfants selon leur milieu socio-économique d’origine à l’entrée à l’école.“
Est ainsi précisé que les difficultés de lecture que rencontrent les élèves issus d’un milieu peu favorisé “ne relèvent pas, pour la majorité d’entre eux, d’un déficit langagier dans la mesure où ils peuvent soutenir une conversation quotidienne“. D'après l'analyse du CSEN, “leur moindre maitrise de l’oral provient d’un contact moins assidu avec le langage plus formel utilisé dans les textes scolaires. C’est ce qui explique pourquoi leurs difficultés se manifestent surtout avec l’entrée dans l’écrit, et qu’elles s’accentuent avec cet apprentissage, ce qui s’appelle ‘l’effet Mathieu‘ (les riches s’enrichissent ; les pauvres s’appauvrissent).“
A noter que le CSEN souligne l' “intérêt“ des évaluations nationales de CP-CE1 qui incluent de nombreuses épreuves permettant “de prédire la réussite ou l’échec des élèves dans les principaux domaines impliqués dans l’apprentissage de la lecture.“
La synthèse “Apprendre à lire : du décodage à la compréhension“ ici