Voie professionnelle : échos de la manifestation parisienne
Paru dans Scolaire le mardi 18 octobre 2022.
Alors que le ministère de l'éducation nationale faisait état ce matin de 23 % de grévistes dans les lycées professionnels, Sigrid Gérardin du SNUEP-FSU a indiqué lors de la manifestation parisienne que, selon les remontées du syndicat, 62 % des professeurs de LP faisaient grève.
Le syndicat FSU de l'enseignement professionnel public a défilé mardi 18 octobre aux côtés des autres organisations syndicales (CGT, CNT, FSU, SGEN-CFDT, SNALC, SNETAA, SUD, UNSA) réunies contre la réforme de la voie professionnelle. Plusieurs lycées participaient à l'événement, certains faisant partie des 7 ou 8 dont la fermeture serait annoncée pour la rentrée prochaine.
Interrogés par ToutEduc, les personnels de terrain rencontrés voient en l'augmentation de 50 % des PFMP souhaitée par le président de la République l'élément qui cristallise leur refus de cette réforme. Pour Annabelle*, chargée d'aide à la recherche et à l'élaboration de conventions de stage, “aujourd'hui on a déjà beaucoup de mal à avoir des entreprises, dès que ce sont des emplois administratifs ou de bureau, entre le télétravail et l'investissement que demandent des jeunes qui ont besoin d'un fort encadrement, les petites structures ne peuvent pas se permettre de le faire à plein temps, c'est beaucoup trop.“
Elle considère également que la filière en apprentissage dans son lycée professionnel “a bien marché car les entreprises étaient payées, mais à partir du moment où on va couper le robinet.. Moi je n'ai jamais eu autant d'appel d'entreprises que depuis qu'il y a une rémunération. Avant, il n'y avait rien de spontané.“
Pour Margaux*, enseignante en Maths-Sciences d'un LP parisien, “clairement, ce passage de 22 à 33 semaines de stage sur les trois ans, cela fait que les élèves auront beaucoup moins d'heures de français, de maths. Je ne vous parle pas des autres enseignements, Anglais, Arts, EPS, pour Monsieur Macron ce seront des matières ‘non essentielles‘ donc qui pourront être supprimées comme il le veut, et nos élèves auront un bagage culturel moins important, ce qui va leur fermer les portes pour les études supérieurs."
“En plus, ajoute-t-elle, les patrons vont avoir de la main-d'oeuvre quasiment gratuite. On fait miroiter 200 (pour les mineurs) à 500 euros (pour les majeurs) aux élèves qui pensent qu'ils vont gagner un peu d'argent mais ils ne se rendent pas compte que ce n'est rien. C'est une casse de la voie professionnelle, et comme peu de monde s'en préoccupe, nous sommes très inquiets."
Enfin, “le but de cette réforme c'est aussi de faire du local selon les besoins des entreprises. Nos élèves qui ont déjà du mal en sortant de collège à trouver quelque chose qui peut leur plaire, on leur dira tu veux faire tel ou tel métier. Nous en ASSP (Accompagnement, soins et services à la personne, ndlr), on voit qu'il y a un besoin de beaucoup d'aides-soignantes, donc on va dire à des élèves tu vas faire aide-soignante, mais il y a des élèves qui n'ont pas forcément envie de faire ce métier. Ca va être catastrophique pour ces jeunes.“
Marc*, enseignant lui aussi, le constate également : “localement, le patronat va avoir beaucoup de pouvoir, il va pouvoir décider de la fermeture de certaines filières, donc de suppressions de postes. Le but pour nous c'est de ne pas laisser des élèves à leur merci et ne pas les voir simplement comme des gens employables. La très grande majorité des élèves de LP ne choisissent pas leur orientation, pour des critères scolaires qui sont des critères sociaux la plupart du temps. Ce sont des élèves de milieux populaires, qu'on va mettre au travail très vite.“
“En période de stage c'est doublement compliqué pour les élèves porteurs de handicap de trouver un employeur qui accepte de les prendre. Avec leur handicap, ils sont déjà fortement pénalisés, constate à son tour Sandrine*, AESH en lycée professionnel. Je pense que le doublement des périodes de stage, c'est la fin d'un espoir de continuer d'aller encore un peu à l'école et de continuer d'apprendre des choses..
“Déjà sur un mois de stage c'est compliqué, parfois ils ne finissent pas les périodes parce qu'on se rend compte que rien n'est adapté pour eux, et on les envoie comme des élèves lambda mais ce n'est pas possible. Toutes les structures pour accueillir ces enfants ont été délantelées, rien n'est mis en place, donc l'école supplée à tout ça, là on en voit le bout, en tout cas en lycée pro on va vite en voir la fin..
L'objectif du gouvernement, c'est selon Marc la suppression des LP à court ou moyen terme pour aller vers de l'apprentissage pour tous les élèves de voie professionnelle. Selon lui “il faudrait pousser la logique un peu plus loin et voir si il ne serait pas possible de faire en sorte que l'enseignement professionnel débute dans le supérieur. Parce qu'en LP les jeunes entrent sur le marché du travail assez tôt par rapport à leurs copains de lycée général. Il faudrait un lycée unique avec une culture commune.“
* les prénoms ont été modifiés