Comment persuader les jeunes que l'enseignement est le plus beau métier du monde ? (SNCEEL)
Paru dans Scolaire le jeudi 13 octobre 2022.
L'enseignement est, à coup sûr, le plus beau métier du monde, mais comment en convaincre les jeunes générations ? C'était la question posée, mardi 11 octobre, par le SNCEEL. L'organisation professionnelle des chefs d'établissement sous-contrat organisait, comme chaque année, un débat destiné à "interpeller la représentation nationale" et elle avait invité pour évoquer la situation en France et ailleurs Eric Charbonnier (OCDE). ToutEduc a rencontré Vivien Joby, président du SNCEEL.
ToutEduc : La difficulté de recruter des enseignants est connue. Que vous a apporté cette rencontre ?
Vivien Joby : D'abord, même si ça ne nous soulage pas, de savoir que nous ne sommes pas les seuls à connaître cette situation. L'Allemagne a, comme nous un problème d'attractivité, mais elle se heurte à une autre difficulté, la pyramide des âges, une forte proportion d'enseignants partant prochainement à la retraite. En revanche, nous avons un problème de rémunération de nos professeurs, ils sont payés 10 % en dessous de la moyenne de l'OCDE quand ils débutent, et 20 % en dessous en milieu de carrière.
ToutEduc : Vous aviez invité le président de l'APEL. Les parents d'élèves sont-ils sur la "même longueur d'ondes" que les chefs d'établissement ?
Vivien Joby : Ils voient bien à quelles difficultés nous sommes confrontés, que nous manquons d'enseignants, que nous avons du mal à trouver des remplaçants, que la question des maîtres délégués (l'équivalent des contractuels dans public, ndlr) n'est pas réglée.
ToutEduc : Elle semblait l'être, a expliqué lors de sa conférence de rentrée Philippe Delorme (le secrétaire général de l'enseignement catholique, voir ToutEduc ici)...
Vivien Joby : Oui, elle le sera à la rentrée 2023 ... si rien ne vient bousculer le processus envisagé !
ToutEduc : Comment pensez-vous que le plus beau métier du monde puisse à nouveau attirer les jeunes ?
Vivien Joby : Il faut d'abord cesser de se demander si le concours doit être à bac + 3 ou bac + 5. On demande à des jeunes de s'engager dans un parcours long, sans aucune garantie de réussite, et qui a tout d'un tunnel sans possibilité de sortie, ni durant les études, ni après si on souhaite, après quelques années, faire autre chose dans la vie.
ToutEduc : N'est-ce pas la logique même des formations ?
Vivien Joby : Non. Regardez ce qui se passe en médecine. Une sélection en première année, des possibilités de réorientation tout au long du cursus, une vraie formation scientifique et professionnelle. Voyez aussi ce qui se passe avec les classes préparatoires aux écoles d'ingénieurs qui recrutent sur dossier, avant trois années de professionnalisation qui débouchent sur les multiples façons d'exercer le métier... On pourrait imaginer de même une formation des enseignants comportant des savoirs académiques, de la psychologie, pour comprendre comment évoluent les enfants et les adolescents, de la sociologie, pour comprendre l'environnement de l'école... Et à bac + 5, un salaire équivalent à celui d'un ingénieur débutant, 2 000 €/mois, mais 4 000 avec cinq ans d'expérience.
ToutEduc : Vous n'évitez pas l'effet tunnel...
Vivien Joby : Si. Les jeunes sortiraient avec un ensemble de compétences, académiques et de gestion des personnes qui leur permettraient facilement de se reconvertir, soit dans un métier correspondant à leur spécialisation, la comptabilité pour un professeur de comptabilité, l'urbanisme ou le tourisme pour un géographe, soit dans un métier de gestion des ressources humaines, de la communication...
ToutEduc : Avez-vous rencontré Pap Ndiaye pour lui proposer une telle réforme ?
Vivien Joby : Non, pas encore. Nous voudrions évoquer avec lui la question des maîtres délégués, mais aussi faire évoluer nos établissements. Nous proposons déjà des sessions de formation continue à des publics d'adultes, souvent en reconversion, nous pourrions avoir parmi nos stagiaires nos professeurs, par exemple un professeur d'anglais qui aurait besoin de quelques notions de marketing pour créer son entreprise... Nos établissements doivent pouvoir intervenir dans la formation des enseignants.
ToutEduc : Votre remarque nous amène à la réforme des lycées professionnels. Comment la voyez-vous ?
Vivien Joby : Nous avons rencontré Carole Grandjean et son équipe, qui nous a paru volontaire et sereine. Elle engage une réforme systémique avec pragmatisme et sincérité. Nous trouvons intéresssante l'idée que les formations s'organisent en fonction du bassin de vie, du tissu économique et du projet de l'établissement...
ToutEduc : Comment se porte le SNCEEL ?
Vivien Joby : Bien. Nous comptons plus de 2 300 adhérents pour quelque 5 000 établissements, nous avons densifié notre offre de service à nos adhérents, notamment sur le plan juridique. Les problèmes ne viennent pas du ministère, mais dans certaines académies, nos adhérents voient leurs libertés rognées, du fait d'interprétations très restrictives, voire erronées, du contrat d'association, et ils doivent envisager d'aller devant la justice administrative. Nous organisons d'ailleurs pour eux de plus en plus de formations, pour quelque 800 stagiaires par an.
ToutEduc : Votre prochain congrès ?
Vivien Joby : Il aura lieu les 18 et 19 janvier 2023 à Issy-les-Moulineaux et il aura pour thème "Le plaisir". Après les années covid, ce sera plus que nécesssaire.