Décrochage scolaire : “la rencontre avec l'école est toujours possible“ (entretien avec Agnès et Xabi Molia, réalisateurs du documentaire “Un bon début“)
Paru dans Scolaire, Culture, Orientation le vendredi 07 octobre 2022.
Pendant un an, le film documentaire “Un bon début“, qui sera sur les écrans la semaine prochaine, accompagne 15 jeunes en rupture avec l'école qui intègrent une classe de troisième nommée Starter. Ce programme de remédiation expérimenté depuis 10 ans à Grenoble s'adresse à des collégiens décrocheurs comme Tamara, Nels ou encore Zyiad dont la vie d'adolescents est déjà particulièrement éreintée. ToutEduc a interrogé Agnès et Xabi Molia, qui l'ont réalisé.
ToutEduc : Les jeunes que vous suivez, avec leur vie très mouvementée, souvent violente, semblent toujours à la limite d'un point de bascule que l'institution scolaire tente de rééquilibrer. Comment décririez-vous leur situation ?
Xabi Molia : On voit bien, comme pour notre précédent documentaire (Le terrain, ndlr) qu'il y a l'influence d'un lieu, par exemple un quartier, contre celle d'un autre lieu, l'école, qui est là pour essayer de faire contrepoids. Le but de Starter c'est de voir depuis l'école ce que l'on peut améliorer, elle agit comme une sorte de “vigie“.
Agnès Molia. : Ces jeunes sont tout le temps au bord de la rupture. Ils sont très fragiles, souvent ils dérivent ils dérivent, certains décrochent même à la fin, mais les autres reviennent grâce à Antoine qui est comme une colonne vertébrale qui les maintient dans le dispositif.
ToutEduc : Antoine Gentil, enseignant spécialisé qui pilote le dispositif, a un rôle très fort et très important dans le film. Pouvez-vous nous décrire ce qu'il apporte dans le rapport entre l'école et ces enfants ?
Agnès Molia : Antoine, il sert de “Hub“. On se rend compte, sur le terrain, que les diverses institutions (école, justice pour mineurs, santé..) travaillent mal ensemble. Lui il tire les fils, il essaie de mobiliser ces mondes-là, il est très actif pour rétablir les liens de communication.
Xabi Molia : Il est à la frontière entre enseignant et éducateur. D'ailleurs, il ne qualifie pas les élèves de décrocheurs, mais les voit plutôt “en errance“, des enfants sur le point de sortir de la société. Antoine réussit à ce qu'ils s'accrochent à ce lieu, l'école, où il y a un temps pour parler de soi.
ToutEduc : Que pensez-vous du rapport de ces jeunes, qui sont seulement au niveau collège, au travail ? N'est-ce pas trop tôt, comme on le voit dans le film, pour leur imposer de trouver une entreprise ?
Agnès Molia. : Je dirais au contraire que les jeunes que l'ont a suivis ont envie des stages qui leur sont proposés. Ils sont plutôt contents ! Il n'ont pas de réticence, beaucoup veulent faire “comme les grands“.
Xabi Molia : Ce qui est faux en revanche, c'est de croire, et de vouloir qu'ils soient tous prêts à intégrer le monde du travail.
ToutEduc : Et vis à vis de l'école ? Ils semblent loin de ne pas pouvoir réussir..
Agnès Molia : Oui ils sont tous assez brillants, ce sont ne sont pas des cancres. Mais il y a du retard, beaucoup de retard, pour certains parfois deux ans de retard. Tamara avait seulement assisté à deux jours de cours l'année précédant son entrée à Starter. On est loin de pouvoir les amener en seconde générale, ce n'est pas le bonne visée.
Xabi Molia : Antoine construit l'idée que la rencontre avec l'école est toujours possible, qu'il n'y a pas de scolarité ratée et que c'est accessible. Ce qui nous intéressait justement c'était l'unité de lieu et de temps qu'offre Starter. Starter c'est comme une bulle, une contre-société. Pour certains, cela restera comme une parenthèse heureuse dans leur parcours.
ToutEduc : Quel est le but de votre documentaire, que montre-t-il au final de ces enfants ?
Agnès Molia : Il faut savoir que les bienfaits de Starter se voient sur du long terme. Ce dispositif permet de décloisonner. Sur les 15 jeunes que nous avons filmés, 2/3 sont dans un parcours de réussite. Mais il y en a d'autres qui cherchent encore. C'est pour cette raison que l'on a souhaité terminer le film en dehors de l'école avec Nels, qui est entre-deux-eaux et dont on ne sait ce qu'il va devenir. Nels est actuellement en CER (centre éducatif renforcé), et c'est positif pour lui car il a besoin d'un cadre.
Xabi Molia : On filme une réussite, un dispositif qui fonctionne plutôt bien. Il faut voir en plus qu'il est très très léger en termes de moyens : un temps plein (Antoine), deux enseignantes de lycée professionnel à mi-temps et un éducateur stagiaire. L'enjeu pour nous c'est d'interroger les pouvoirs publics : si un tel dispositif fonctionne, qu'est-ce qu'on en fait ? Par exemple, ce qu'aimerait faire Antoine, c'est d'aller plus loin dans cet esprit de vigie, c'est à dire pouvoir détecter dès la maternelle les enfants qui ont des problèmes et les suivre sur du long terme.
Le film sortira en salles le 12 octobre. Plus d'infos ici
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