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L’absence, cet impensé de notre système éducatif (une tribune de P. Anselmo)

Paru dans Scolaire le jeudi 30 juin 2022.

Pierre Anselmo, chef d’établissement honoraire, nous fait parvenir cette réaction à la déclaration de Pap Ndiaye sur le remplacement des absences de courte durée, que nous publions bien volontiers. Selon la formule consacrée, le point de vue qui y est exprimé n'engage que son auteur.

Le nouveau ministre vient, à son tour, de proposer un dispositif de remplacement de courte durée qui ressemble furieusement à celui de ses prédécesseurs et qui est donc promis à la même inefficacité.

Outre la volonté, à saluer, de rattraper les heures perdues dans chaque discipline et non plus globalement, tout juste notera-t-on la nouveauté disruptive qui laisse planer peu de doute quant à la volonté que ces absences soient finalement compensées par les personnels concernés.

Rappelons, sobrement, au ministre, qu’un congé maladie n’a pas à être rattrapé par le personnel absent, même et surtout en heures supplémentaires car, dans un souci de bonne gestion, il est préférable que le personnel relevant de maladie n’ait pas à assumer une surcharge de travail sauf à ce que les mêmes causes produisent les mêmes effets et qu’il retombe malade. Il en va de même pour ses collègues que ce dispositif peut rapidement placer en surcharge avec les mêmes conséquences potentielles selon l’état de santé des personnels concernés.

Par ailleurs, d’expérience dans le second degré, j’ai pu constater que ce dispositif était délicat et chronophage à mettre en œuvre pour une fraction ténue de la durée de l’absence du fait de l’intrication des emplois du temps mais aussi de l’intolérance des usagers à toute modification de l’emploi du temps de référence annuel par la mobilisation de plages horaires habituellement libres. Je vous laisse imaginer l’efficacité qui en découlait.

Je note aussi que ce dispositif est totalement inopérant dans le 1er degré sauf à modifier localement le calendrier scolaire ou à considérer que l’accueil, et non l’enseignement, des élèves « coûte que coûte » en conditions dégradées (élèves répartis dans des classes surchargées) vaut solde de tout compte pour la scolarité des élèves impactés.

Je regrette que ce nouveau ministre n’ait pas pris le temps de la réflexion et de la consultation au-delà du cercle étroit des technocrates qui l’entourent car tous ces dispositifs, annoncés à grands renforts médiatiques, sont hors sol tant ils ignorent l’expertise de terrain des chefs d’établissement qui, in fine, seront tenus de les appliquer.

Pourtant, les absences, celles des professeurs comme celles des élèves, et surtout les plus courtes participent de l’aggravation des inégalités scolaires dans la mesure où elles seront, statistiquement, mieux compensées par une famille privilégiée que par une famille en difficulté. Ce phénomène étant itératif, il fait des ravages au fil du temps. C’est pour cela que sa réduction effective, et pas seulement annoncée, est sans doute le point d’appui le plus efficient pour réduire les inégalités créées par ces micro-ruptures répétées au sein du système éducatif.

Même si ces enjeux n’ont, à ma connaissance, jamais été formulés de la sorte, c’est à bon droit que le ministère s’en préoccupe car il s’agit d’un véritable obstacle épistémologique sur le chemin de la résolution de ce problème récurrent et partant sur celui de la réduction des inégalités scolaires. Comme souvent, la réponse technocratique, plutôt que d’embrasser largement la problématique sur le temps long, cherche des répliques plus que des réponses pour la prochaine séance de questions au Gouvernement.

Ces absences, et notamment les plus courtes, qu’elles soient le fait de l’enseignant ou de l’élève, constituent la majeure partie des micro-ruptures qui vont venir miner, à bas bruit, une scolarité pour exploser un beau jour sur l’appellation de lacunes sans que l’on sache véritablement quelles elles sont précisément et comment elles sont advenues. Se posent ici les questions du suivi des expositions effectives des élèves aux éléments de programme, de la vérification fine de leur maîtrise par l’élève, de la cohérence des démarches enseignantes tout au long du cursus de l’élève ou, à tout le moins, tout au long du cycle triennal. En cas de réforme des programmes, se pose aussi la question de l’existence d’un plan de continuité qui prenne en compte les cursus dans lesquels sont déjà engagés les professeurs et leurs élèves plutôt que de prétendre faire “table rase“ d’une année sur l’autre pour de basses raisons électorales.

La réponse à ces questions suppose que l’on cesse de considérer, au nom de la continuité du service et de l’obligation scolaire réunies, ces absences, celles de l’élève comme celles du maître, comme des accidents un peu fautifs et qu’on accepte de les prendre en compte dans une organisation ordinaire locale, qui pourrait être formalisée, par exemple, dans le projet d’école ou d’établissement, et qui y répondrait effectivement.

C’est à cette aune que l’on verra si le système éducatif, et en premier lieu, son ministre, s’engagent effectivement et résolument dans la réduction des inégalités scolaires qui, à défaut, restera lettre morte, sujet d’une déploration triennale, à chaque parution de comparaisons internationales.

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